Nedjma
L'amande
Badr est âgée de dix-sept ans quand elle doit épouser, contre son gré, Hmed le vieux notaire d'Imchouk, village situé au fin fond du bled berbère marocain. Légalement violée pendant sa nuit de noces, elle sera, pendant cinq années, chevauchée par son ridicule et stérile époux. Aucun des émois pressentis durant les quelques attouchements de l'enfance ne traverseront le corps de l'épouse dans ces rendez-vous nocturnes, rendez-vous imposés, furtifs et repoussants. Badr décide de fuir. Elle va trouver refuge chez une tante à Tanger, chez la truculente et libre Selma. Elle laisse derrière elle son légal violeur, la belle-famille hostile, son bourg, et part s'aventurer dans la grande ville. C'est à Tanger qu'elle rencontre Driss, un cardiologue de renom, cultivé, riche, de bonne compagnie et libertin à souhait. L'auteur (qui prend le prénom de Nedjma pour pseudo) raconte alors une passion, passion des corps et des sens, qui se réduit à quelques parties de jambes en l'air (pardon pour la trivialité mais, enfin, il faut bien appeler un chat un chat) à deux, à trois et même à quatre, mêlant hommes et femmes, lesbiennes confirmées et apprentis pédés, le tout sans provoquer chez son lecteur de véritables émotions. Ce qui, pour une prose présentée comme érotique, dérange un peu. Bien sûr, in petto, Badr aime Driss, et le libertin est lui aussi jalousement épris de la jeune campagnarde. Mais ni l'un ni l'autre ne sauront déclarer leur flamme et cette union, in fine, partira en... quenouille. Après leur rupture, Badr se convertira en prostituée de luxe, technicienne du plaisir et spécialiste du braquemart. Ce récit, présenté comme érotique, se place sous l'égide de Nefzaoui, auteur au XVe siècle d'un beau traité d'érotologie dans lequel il faisait de la "conjonction", ou amour, non seulement un art mais aussi une science. Certes l'anonyme auteur a raison de rappeler à ses contemporains, oublieux ou ignorants, prudes ou bigots intolérants, la longue tradition érotique de l'histoire littéraire arabe. "Seule la littérature possède une efficacité 'd'arme fatale', dit-elle. Alors je l'ai utilisée. Libre, crue et jubilatoire. Avec l'ambition de redonner aux femmes de mon sang une parole confisquée par leurs pères, frères et époux." Cette "parole confisquée", comme la question toujours taboue de la sexualité, d'autres auteurs récents, sur un registre totalement différent, se sont appliqués à la restituer. Citons ici : la saoudienne Al-Bishr, la libanaise Hanan El-Cheikh ou son concitoyen Rachid el-Daïf, le syrien Ammar Abdulhamid, l'Algérienne Assia Djebar ou Salah Guemriche, sans oublier, pour en rester au Maroc, Rachid O et beaucoup plus récemment Driss Ksikes ou Abdellah Taïa. Ainsi Nedjma participe de ce courant perceptible au sein des littératures arabes et nord-africaines qui se réapproprie les corps au nom de l'amour et de la sexualité. Si, pour en rester au seul champ de l'érotique, n'est pas Nefzaoui qui veut, il faut reconnaître à Nedjma une efficacité dans sa dénonciation du sort fait aux femmes. Les pages consacrées à l'enfance, au statut de la femme, mariée par obligation et devant subir la méchanceté de la belle-famille, sont les plus fortes du livre.
Edition Plon, 2004, 259 pages, 18 €
sexualité
-
L'amande