Hanan El-Cheikh
Londres, mon amour
Avec sa nouvelle « Je balaie les terrasses du soleil » parue en 2000 dans le recueil intitulé « Le Cimetière des rêves », la romancière libanaise installée à Londres, abordait pour la première fois l’univers de l’immigration. Elle y revient avec ce roman drôle et tendre, parfois un peu long, qui met en scène quatre personnages exilés dans la capitale anglaise évoluant dans le microcosme de la diaspora arabe, davantage levantine que maghrébine, plus magnats du pétrole et de la finance ou familles princières adeptes des palaces que pauvres bougres et autres drilles réduits aux bouis-bouis communautaires.
Amira, la Marocaine, est la plus volubile. Prostituée de luxe au grand cœur, en stratège et comédienne elle s’applique à berner « son » monde aristocratique - bien plus lucratif - en se faisant passer pour une princesse. Son amie Nahed vient d’Egypte. Elle a laissé tomber la danse pour, elle aussi, faire commerce de ses charmes. Mais, ravagée par l’alcool, la dépression et la maladie, son crédit s’amenuise chaque jour un peu plus. Samir, tout juste débarqué du Liban, s’adonne, en toute liberté, à assouvir une insatiable et dévorante passion homosexuelle au point que notre joli et fantasque mignon en oublie, qu’à Beyrouth, il est marié et plusieurs fois père. Lamis est Irakienne et, ne supportant plus sa condition d’épouse arabe, a bravé interdits et pressions familiales pour divorcer. Femme seule dans Londres, Lamis, dont les relations avec les Anglais pur sucre se limitaient à quelques médecins, rencontre Nicholas, un spécialiste en arts islamiques. Ce petit monde évolue avec ses soucis et ses petits bonheurs. L’exil n’est pas rose et la jovialité d’Amira ou l’insouciance de Samir ne peuvent faire oublier la solitude et les incertitudes du lendemain. Sans complaisance, Hanan El-Cheikh brosse un tableau mi-figue, mi-raisin de cette immigration particulière. Après s’être affranchie des contraintes imposée par sa société d’origine, Lamis s’efforce à s’intégrer totalement à l’Angleterre et à sa capitale quitte à renier une partie d’elle-même. Londres devient alors l’autre personnage du récit. L’acculturation s’accompagne bien évidemment d’interrogations et de doutes identitaires, de même que la relation amoureuse entre Lamis et Nicholas doit payer le prix de l’incompréhension culturelle et surmonter quelques interdits et non-dits.
Reste que, comme le dit Amira : « je suis un être humain avant d’être une femme arabe »... Que les esprits chagrins se rassurent, l’optimisme du roman n’évacue pas pour autant les obstacles que les hommes savent dresser entre eux.
Traduit de l’arabe (Liban) par Rania Samara, éd. Actes Sud, 2002, 325 pages, 21,90 euros