Badriyah al-Bishr
Le Mercredi soir et autres nouvelles
Nul n'ignore le statut peu enviable de la femme en Arabie saoudite. Dans ce recueil de onze nouvelles qui introduisent le lecteur à l'intérieur de foyers saoudiens, l'auteur en parle sur un mode intimiste. Point de grande démonstration ou de dénonciation offusquée dans ces courts textes. L'efficacité est dans la description, méticuleuse et presque distancée, d'un univers conjugal marqué par l'absence de communication, le mensonge et l'adultère (de l'homme, cela va sans dire), mais aussi par la violence, physique cette fois, comme dans Le Jouet, la première des nouvelles. Sur ce quotidien morne, l'auteur entrouvre d'autres portes, qui donnent sur la drague en voiture dans les rues de Ryad, sur le marchandage des "dragueurs" pour obtenir un numéro de téléphone, et, plus grave, sur la peur des fiançailles (La Ressemblance), la peur des noces (La Terrasse) ou sur les beuveries hebdomadaires du mari et l'attente de son retour par une épouse angoissée : "Mon Dieu, que la soirée est longue quand il est dehors. Mais quand il rentre, même présent, il est toujours comme absent." (Le Mercredi soir)
Badriyah al-Bishr montre comment, au jour le jour, ces femmes de la classe moyenne qui, pour certaines, travaillent à l'extérieur comme enseignantes et ont à leur service une bonne (philippine, bien sûr), transgressent l'interdit. Oh, une transgression qui ne prête pas à conséquence : quelques conversations téléphoniques volées (Le Jouet), une pensée non exprimée, un petit rêve vite éteint... La transgression est impalpable, immatérielle. Elle se love dans l'imaginaire, dans le rêve, ce "sel des nuits sans lune" qui emprisonnent les femmes saoudiennes. Dans ce pays rigoriste, "les hommes sont comme la mort, on n'y échappe pas". Il faut croire qu'ils sont tous "comme cet 'Abd-al-Rahmân, fronceur de sourcils, criant dès qu'ils ouvrent la bouche, et ne fermant les mâchoires que pour se nettoyer les dents". Gumash, la dernière nouvelle du recueil, laisse entendre qu'il est possible de rencontrer d'autres hommes, avec qui la communication et les relations marquées par la délicatesse, la prévenance, la douceur et la poésie sont concevables. Sous la plume de Badriyah al-Bishr, cet homme n'est pas saoudien mais étranger. Après avoir tiré sur "les poils de la barbe" (entendez l'honneur) de ses concitoyens, l'auteur asticote leur chauvinisme et leur prétendue supériorité, mesurée bien sûr à l'aune de leur rigorisme religieux et de leurs pétrodollars.
Traduit de l'arabe (Arabie saoudite) par Jean-Yves Gillon L'Harmattan, "Écritures arabes", 2001, 110 p., 10,70 €