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Littérature espagnole

  • L’Éclat dans l’abîme

    Manuel Rivas

    L’Éclat dans l’abîme. Mémoire d’un autodafé

     

    EscritorManuelRivas.gifLes livres brûlent mal. Tel est le titre espagnol de ce troisième roman de Manuel Rivas, traduit en français chez le même éditeur. L’autodafé qui a eu lieu à la Corogne le 19 août 1936 est au cœur de ce récit justement flamboyant. Les pages et les mots voltigent au-dessus des flammes. De ce brasier, où « l’odeur des livres à la fin ressemblait à celle de la chair », quelques ouvrages seront sauvés par des mains intéressées ou compatissantes.  Ces mots, ces pages et ces livres échappés du bûcher finiront par raconter les vies d’hommes et de femmes de ce côté-ci de l’Espagne, la Galice. A travers eux défilent plus d’une trentaine d’années d’histoire espagnole. Personnages et événements historiques, références politiques et bibliographiques, mots et idées virevoltent de page en page, de chapitre en chapitre. L’Éclat dans l’abîme est un livre éblouissant, mais qui exigera des efforts de la part du lecteur pour y pénétrer et se l’approprier. Des efforts vite récompensés. Manuel Rivas dans une construction hélicoïdale, tout en courbe, en enchevêtrement, en colimaçon croise les trajectoires de plus de soixante-dix personnages. Le génie de l’auteur transporte le lecteur de sujet en sujet : bibliophilie, philosophie du droit, histoire littéraire, franquisme… L’écriture de Manuel Rivas est époustouflante et dense de bout en bout. Son art du récit et du conte jamais ne faiblit.

    Au cœur de cette histoire il y a deux hommes que tout oppose, Samos Ricardo, juge bibliophile, ci-devant chef de l’autodafé, pro-nazi admirateur de Carl Schmitt, de l’autre, Hector Rios, procureur de la défunte République, devenu auteur clandestin de livres de Far West et rédacteur d’une Dramatique histoire de la culture. Les trajectoires de ces deux amis d’enfance ont divergé. L’un est devenu un dignitaire du régime franquiste, l’autre un reclus, fou de littérature prodiguant quelque enseignement…

    Autour du premier gravitent sa mystérieuse épouse, Chelo Vidal, son fils Gabriel mais aussi Dez le chef de la Censure ou Ren, le phalangiste, inspecteur à la Brigade d’investigation policière. Autour du second, il y a Catia, sa nièce, et les élèves de La Rose Sténographique : Tito Balboa, le journaliste stagiaire, Paul Santos, le jeune inspecteur et Gabriel Samos, le propre fils du juge. Dans les rues de la Corogne, on croise Vicente Curtis l’ancien boxeur ; Terranova, le chanteur ; Silvia la couturière, qui, pour sortir de l’enfer franquiste, accepte de faire, pour les autorités de la ville, un travail particulier, ou encore Polca, un des fossoyeurs des livres morts, toute sa vie meurtri de ne pas avoir rendu un ouvrage emprunté à la bibliothèque : L’Homme invisible d’Élisée Reclus…

    La Corogne c’est aussi des lieux : l’athénée L’Éclat dans l’abîme, l’académie de danse, le port et surtout le 12 de la rue Panadeiras, la demeure de Santiago Casarès, le père de Maria Cazarès, que le lecteur retrouve des années plus tard à Paris. Tous les livres de son père sont « décédés ». Quelques-uns qui ont « survécu », lui reviennent.

    Livre admirable sur l’histoire espagnole, la mémoire des victimes, cette mémoire qui n’en finit pas de se rappeler au mauvais souvenir des vivants. Ici les livres, les mots, le langage deviennent des êtres incarnés, des coupables, qu’on arrête, qu’on assigne à résidence… Des êtres de mémoires, imprévisibles et dangereux. « Ce n’est pas si facile de fixer les limites à des mots. Les mots sont comme les cafards et les souris qui se déplacent sous terre, le long des égouts et entre les tombes. Comme les insectes. Les bactéries. C’est facile de fixer ses limites à un homme, mais ce n’est pas si facile de fixer leurs limites à des mots. Le silences, les pauses font partie du langage. Un homme silencieux, si c’est quelqu’un d’honnête, est un homme dangereux ».

     

    Traduit de l’espagnol par Serge Mestre, édition Gallimard 2008, 681 pages, 25 €

     

  • Mimoun

    Rafael Chirbes

    Mimoun


    9782743610685.jpgManuel, jeune professeur d'espagnol alcoolique et un brin dépressif, décide de partir enseigner au Maroc - histoire de se refaire une santé et de s'atteler sérieusement à la rédaction de son livre. À force de penser que l'herbe de son voisin est toujours plus tendre et plus verte que la sienne, on finit par oublier que l'on transporte avec soi ses démons. Dans ce premier roman paru en Espagne en 1988, Rafael Chirbes raconte la descente aux enfers de Manuel au cours d'une année passée à Mimoun, un village de l'Atlas situé dans la région de Fès. L'écriture, froide et distanciée, aux adjectifs et adverbes rares, participe pleinement de l'ambiance de ce livre étrange où, à vrai dire, il ne se passe rien : entre ses cours donnés à l'université de Fès, Manuel passe son temps à se soûler avec du mauvais alcool, à entretenir des relations de fortune avec encore plus paumées que lui, ou avec des prostituées réduites à l'état d'épaves. L'atmosphère y est glauque. La nuit : un néant hanté d'insomnies et de cauchemars où rodent la mort et des fuites sans fin.
    Manuel n'est pas le seul étranger à Mimoun. Charpent, un Français, hurle la nuit, et Francisco est un artiste réfugié dans une maison maudite. Tous "cachent une partie de leur vie". La part d'ombre des personnages et des événements ne cesse d'envahir le récit. Le mystère est partout. Le pays lui-même est un mystère. Les personnages de Mimoun vont à la dérive dans un pays inaccessible.

    "Il faut faire attention aux gens de ce pays", conseille Rachida, la femme de ménage, à Manuel. Mais de qui doit se méfier le jeune professeur ? De Driss, le policier fouineur et soupçonneux ? Du regard menaçant de ce costaud aperçu dans la voiture de Charpent quelques jours seulement avant sa mort ? Ou de Hassan, l'amant qui un soir le tabassera en lui jetant à la face : "Pour qui tu m'as pris ? Je ne suis pas une tapette ?"
    Rafael Chirbes livre une peinture du Maroc bien peu reluisante : des femmes de ménages qui chapardent, des services publics omniprésents, abjects et corrompus, un policier alcoolique, des soudards et des prostitués, des arrivistes sans foi ni loi. Un tableau bien sombre et décourageant, n'était Sidi Mohamed, le père de Hassan. Un univers dépressif, mystérieux et finalement inquiétant. Pour Manuel, l'heure de fuir sonnera. Une fois de plus.


    Traduit de l'espagnol par Denise Laroutis, Rivages, 2003, 145 p., 11,50 €

  • Ici repose Nevares

    Pere Calders
    Ici repose Nevares


    perecalders_vert.gifPere Calders est né à Barcelone en 1912. En 1939, après la victoire des franquistes, il s’exile au Mexique. Il ne retournera en Catalogne qu’en 1962. Les six nouvelles de ce recueil rassemblées pour la première fois en 1980 (pour la version catalane) sont toutes consacrées à ce pays qui l’a accueilli durant plus de vingt ans, aux Indiens et aux métis, qu’il a côtoyés et observés tout au long de son exil forcé.
    La nouvelle qui donne le titre à ce recueil raconte le sursaut désespéré, l’instinct de survie plus qu’une lutte consciente et organisée des habitants d’un bidonville insalubre, froid et boueux, sans cesse menacé par les pluies torrentielles, qui acceptent de suivre Nevares, agitateur improvisé, leader derrière qui se cache le peuple des taudis pour investir le cimetière de la ville et se loger dans les caveaux. Petit à petit une nouvelle société se met en place. Le temps de l’installation passée, les uns et les autres commencent à jauger le bien du voisin. La grandeur et la luxuriance de certains caveaux suscitent la convoitise des pauvres bougres qui se sont installés dans de modestes bâtisses. Les désirs de consommation, d’aménagement et de décoration des niches funéraires fleurissent, les ci-devant damnés de la terre et les caveaux s’embourgeoisent, la concurrence s’immisce. « Un ordre  savamment établi est rompu », un autre se met en place et avec lui « indiscrétion, médisance, envie [et] vanité ». Même le sage Nevarès n’a plus sa place dans cette société nouvelle. Chassé, l’ancien leader n’a plus de peuple. Un comité autoproclamé qui se réunit à la taverne du cimetière s’auto investie en pouvoir suprême et se charge de la redistribution des biens (entendre des caveaux). Ainsi, constate Nevares, « les espoirs réalisés ne duraient jamais longtemps, et à chaque ascension correspondait une chute plus dure ».
    Dans Frivole fortune, Trinidad tue Lalo son collègue de chantier. Il déguise sa petite affaire, prend la place du macchabée auprès de Lupe, sa veuve, et empoche sa paie. Bon prince, avec l’argent, il achète un bijou pour sa nouvelle amie et compagne et se voit gratifier par l’étourdi commerçant de dix pesos de trop.
    Dans une autre nouvelle, la fin tragique de la vieille Dona Xabela donne l’occasion d’une veillé bien arrosée pour une morte bien peu amène de son vivant. Au petit matin, le fils de la maison et ses amis, passablement « cuits », refusent de laisser les services des pompes funèbres emporter le corps de la défunte. Ils préfèrent incinérer eux-mêmes la chère disparue et, avec elle, … brûler la maison.
    Les récits de ce livre ont pour trame des faits réels. Rien n’y est vraiment inventé. La plume du Catalan mort en 1994 s’efforce de saisir la singularité de ce peuple et de traduire, dans une prose dénuée de tout lyrisme, comment, les choses les plus étranges à l’entendement occidental, sont réalisées ici avec un naturel absolu. La mort, le désespoir, la mélancolie, la pauvreté frayent avec la vie, la générosité, les débordements, l’humour ou la dérision. La réalité, prosaïque et tragique, se mêle à l’absurde sur cette terre où tout manque « sauf la douleur et la misère » et où les gens sont, d’expérience, convaincus « que les bonnes choses ne se réalisent jamais ou alors seulement en échange d’un plus grand mal ».

    Traduit du catalan par Denis Amutio et Robert Amutio, édition Les Allusifs, 2004, 148 pages, 14 €

  • Le jour du Watusi II, Du vent et des bijoux

    Francisco Casavella
    Le jour du Watusi II, Du vent et des bijoux


    9782742755288.jpgIl s’agit du deuxième volet d’un triptyque commencé avec Les Jeux féroces et qui se refermera avec Le Langage impossible. Dans Du vent et des bijoux, on retrouve le même narrateur, Fernando, qui, tout en relatant l’histoire de sa vie, écrit un étrange rapport pour un mystérieux Lecteur. Il faudra sans aucun doute attendre les dernières pages du troisième et dernier tome pour que tout prenne un sens.
    Pour l’heure, Fernando se raconte et à travers lui raconte l’histoire de l’Espagne et de la Barcelone des quarante dernières années. Le 15 septembre 1971, le Jour du Watusi, Fernando, enfant, courait en compagnie de Pepito, à travers la ville pour tenter de retrouver ce Watusi, un mythique et improbable voyou, accusé du meurtre de la fille d’un caïd du quartier de la montagne de Montjuïc. Le gamin et sa mère échapperont à la vindicte du parrain des cabanes mais devront quitter fissa le taudis. C’est ici que commence Du vent et des bijoux qui reste traversé de bout en bout par la mémoire et la quête du Watusi, une « mémoire transformée en une vie inventée » par Fernando mais qui sera aussi détournée, pervertie, salie.
    Fernando et sa mère s’installent dans une méchante et triste loge de concierge à Barcelone même. Pour arrondir les fins de mois, Flora s’improvise vendeuse en cosmétique des produits Proust, organisant dans son antre bien peu hospitalier des après-midi vente sans succès. En 1975 elle rencontre Carmelo qui la sortira de sa loge, lui fera deux autres enfants et mettra le pied à l’étriller de l’ascension sociale au jeune Fernando. En ces années 1976-1977, le gamin des rues a grandi. Il a dix-neuf ans et tout à apprendre de la vie d’autant plus qu’il va évoluer dans un milieu, celui de la banque et de la politique, opaque et manipulateur, tripatouillant aussi bien le passé récent que l’avenir d’une Espagne, libérée du Caudillo et ouverte au vent de la démocratie. Il lui faudra pour mériter l’adoubement du sérail faire montre de docilité, de servilité même et de pas mal de cynisme.
    Fernando aurait pu être oublié au sous-sol de la Banque citoyenne n’était Ballesto, l’homme à tout faire de l’établissement, qui le sortira d’un quotidien à l’horizon gris et bouché. Ballesto, le ci-devant et énigmatique Boris, sera, un temps, l’idéal et le modèle de Fernando. L’homme a du charisme, de la culture, de l’entregent et de la poigne. Avec les pontes de la banque, Don Carlos Del Escudo et son successeur à la direction générale Don Tomas Del Yelmo, ils décident de créer un parti politique, le « Parti libéral citoyen », moins pour participer à la démocratie naissante qu’histoire de recycler de vieilles casseroles et de tirer les marrons du feu. « Aujourd’hui, tout le monde se lance dans la politique. Peut-être pour ne pas être largué… Piétiner les autres pour ne pas être piétiné… ». Sur cette Espagne de la transition, Casavella porte un regard désenchanté qui laisse un goût amer en bouche : tout ici n’est que faux-semblant, manipulations, mensonges et solitudes. Le whisky coule à flot, les pilules sont ingurgitées ad libitum, les nuits blanches se terminent dans les boîtes et autres bordels de luxe de la capitale catalane ou de sa sœur castillane, les filles sont achetées à coups de Jaguar et de bijoux, « la sous-espèce des journalistes » est graissée avec force et lourdes enveloppes… Le personnel, valets et autres cadets de l’ancien régime, se recycle à gogo, changeant et détournant les règles du jeu : « de la loi à la loi, en passant par la loi, comme au jeu de l’oie, j’ai le droit de rejouer ». À sa façon, Ballesto administre des cours de philosophie politique au jeune Fernando : « tous les enfants de putain qui n’ont pas bougé un petit doigt de vérité de toute leur vie sont en train de bâtir l’Histoire ».
    Cette période d’ouverture à la démocratie n’aurait-elle été qu’un vaste courant d’air, du vent dont on se gargarise histoire de taire le passé des uns et des autres et de mystifier le chaland ? Du vent à l’instar de la société de consommation qui elle aussi profile son ombre envahissante : publicitaires et « escrocs intellectuels » commencent à distiller leurs « parfums de pacotille ». On achète les esprits avec du vent et les corps à coups de bijoux. « Nous sommes ici pour enterrer des cadavres (…). Nous avons monté cette machination pour que tout soit bien enterré » dit Ballesto. Ce qu’il ignore encore, lui qui est loin d’être tombé de la dernière pluie, c’est qu’en politique il en est comme dans les gares : une machination peut en cacher une autre…Passionnant ! Francisco Casavella, le jeune prodige de la littérature espagnole, distille le doute et l’inquiétude chez son Lecteur.

    Traduit de l’espagnol par Claude Bleton,  Edition Actes-Sud, 496 pages, 23 €


  • Le jour du Watusi I, Les Jeux féroces

    Francisco Casavella
    Le jour du Watusi  I, Les Jeux féroces



    images.jpgBarcelonais de quarante-deux ans et auteur de quatre romans à la sortie de ce premier tome du Jour du Watusi, Francisco Casavella appartient à la jeune génération des romanciers espagnols et la critique hispanique voyaient en lui un des piliers de la nouvelle littérature nationale. Les Jeux féroces est le premier volet d’un triptyque sur « une Espagne de la transition qui titube entre franquisme moribond et démocratie balbutiante » (dixit l’éditeur). Les deux autres tomes, Du vent et des bijoux et Le Langage impossible sont parus la même année. Francisco Casavella écrit dans une langue touffue et chargée, une densité nourrit de précisions et de descriptions, d’allusions, de renvois et de rappels. Il dissèque la ville, les groupes sociaux et l’histoire récente de son pays.
    Cette première livraison s’ouvre sur l’année 1995 et sur une mystérieuse demande de « Rapport » par un non moins mystérieux « Lecteur » qui conduit, Fernando, le narrateur, à évoquer un souvenir personnel : une journée d’août 1971, la plus importante de sa vie où, pendu aux basques de Pépito le boiteux, un petit gitan paria, il court à travers les bas-fonds de la ville à la recherche d’un certain Watusi accusé du meurtre de la petite Julia.
    Julia appartenait au clan des de Celso qui s’est empressé de dépêcher ses sbires sur les traces du Watusi, truand bringueur et danseur, figure mythique du quartier, personnage improbable et invisible qui n’apparaît qu’à la toute fin du roman. Une course poursuite s’engage alors entre les deux gamins et les tueurs de la famille. Dans un taudis rendu boueux par une pluie meurtrière, les deux apprentis justiciers naviguent de lieux interlopes en bouges, de chapardages  à l’étal en vols de voitures, passent d’un lupanar au zoo de la capitale catalane, s’efforcent de fausser compagnie à une bande de voyous sadiques et d’éviter les envoyés des de Celso.
    Cette course justicière et initiatique - l’apprentissage de la peur -  révèle la zone barcelonaise, sa faune, « rebuts humains pathétiques de cette montagne » où les paumés, les truands en tout genre et de tous âges, les prostitués au grand cœur et les putes vénales, les flics véreux et les familles des taudis se mêlent, cohabitent tant bien que mal malgré l’énergique injonction maternelle administrée à Fernando d’étudier et de ne pas fréquenter les jeunes du quartier des Bicoques et du Taudis « aux regards et jeux féroces ». 
    Dans ce récit de la falsification et de la manipulation, Fernando fait d’abord figure du naïf aux côtés de Pépito, son aîné en galère et en expérience de la rue, qui détient, lui, toutes les clefs de cette histoire où le Watusi n’est peut-être qu’un bouc émissaire. Pour Fernando, la scène du pseudo procès se révèle une farce pour travestir la vérité : « je ne compris qu’à ce moment-là, et cette décision mentale allait me durer, Lecteur, presque toute ma vie, que c’était leur façon de faire, mettre en scène et insister jusqu’à ce que le plus bête et le plus courageux, se rendent compte. À partir de ce moment-là, quelle que soit la vérité, c’était cela qui allait être raconté et tous, pour notre bien, nous serions d’accord ».  Une farce, mais une farce fondatrice qui devrait se rejouer dans les prochains épisodes de la vie de Fernando qui s’en va, avec sa mère, s’installer dans une loge de concierge à Barcelone même, loin des taudis.


    Traduit de l’espagnol par Claude Bleton, éditions Actes-Sud, 280 pages, 19,80 €

  • La Promenade des délices

    Mercedes  Deambrosis

    La Promenade des délices

     

    Deambrosis.jpgDans ce recueil de huit nouvelles, Mercedes Deambrosis auteur de trois premiers romans (le premier paru en 1999 chez Dire éditions, les deux derniers chez le même éditeur) revient sur la guerre d'Espagne pour en montrer les retombées sur une population finalement et bien souvent vaincue, bourreaux et victimes confondus. La plume n'est jamais accusatrice. Le contraste est d'ailleurs saisissant entre la délicatesse de l'écriture et la dureté des faits, entre le rythme paisible et fluide de la phrase et les convulsions des événements rapportés. Mercedes Deambrosis ne transporte pas le lecteur au milieu des champs de bataille ou au cœur d'une embuscade. Elle ne le place pas en spectateur privilégié dans le feu de l'action et le bruit des armes. Elle préfère le silence des consciences, l'intimité des âmes, les destinés individuelles, les doutes des uns, la grandeur ou la faiblesse des autres. Ce n'est pas l'Histoire qui défile sur les grandes avenues mais le peuple d'Espagne surpris, dans sa diversité et son quotidien, dans les ruelles et les à-côtés. Ces à-côtés qui font la vie. La vraie, la seule qui vaille le coup comme peut le laisser entendre la phrase d'Andrès Trapiello choisie par l'auteur en exergue  à son livre :"hacer una guerra y morir por ella no tiene el menor intéres (faire une guerre et mourir pour elle n'a aucun intérêt)".

    Pourtant les flots de l'Histoire finissent par submerger les existences, brutalisent, violentent, brisent la ligne des histoires personnelles. Ainsi, cette concierge, déçue ne de pas parvenir à ses fins, en vient à dénoncer à la milice son paisible mais célibataire locataire.  Ici, c'est par jalousie qu'une jeune femme livre à la Phalange son amie d'enfance. Là, un jeune républicain demande l'absolution au curé qu'il est chargé de liquider. Ailleurs, une jeune et peut-être naïve mariée se retrouve à occuper l'appartement d'une famille, subitement disparue, sous les regards hostiles de ses nouveaux voisins et l'indifférence brutale de son mari qui, chaque soir, rendre de son travail les vêtements mystérieusement tachés.  Ou encore, avec finesse et en conteuse qui maîtrise à la perfection son sujet, Mercedes Deambrosis raconte comment, autour d'une partie de poker et d'un cancer en phase terminale, l'histoire d'une amitié brisée par la guerre civile peut, des décennies plus tard, être réinterprétée et les rôles redistribués. Mercedes Deambrosis n'a pas connu cette période. Elle est née quelque vingt après le début de la guerre. Elle a vécu au Portugal et en France. Écrites en français, ces nouvelles restituent la détresse des hommes et des femmes ballottés par des vents contraires. En revisitant une mémoire nationale et sans doute bien des mémoires familiales, elles aident à n'en pas douter à crever nombre d'abcès et à panser bien des blessures toujours douloureuses.

     

    Ed. Buchet Chastel, 2004, 132 pages, 12 euros