Pere Calders
Ici repose Nevares
Pere Calders est né à Barcelone en 1912. En 1939, après la victoire des franquistes, il s’exile au Mexique. Il ne retournera en Catalogne qu’en 1962. Les six nouvelles de ce recueil rassemblées pour la première fois en 1980 (pour la version catalane) sont toutes consacrées à ce pays qui l’a accueilli durant plus de vingt ans, aux Indiens et aux métis, qu’il a côtoyés et observés tout au long de son exil forcé.
La nouvelle qui donne le titre à ce recueil raconte le sursaut désespéré, l’instinct de survie plus qu’une lutte consciente et organisée des habitants d’un bidonville insalubre, froid et boueux, sans cesse menacé par les pluies torrentielles, qui acceptent de suivre Nevares, agitateur improvisé, leader derrière qui se cache le peuple des taudis pour investir le cimetière de la ville et se loger dans les caveaux. Petit à petit une nouvelle société se met en place. Le temps de l’installation passée, les uns et les autres commencent à jauger le bien du voisin. La grandeur et la luxuriance de certains caveaux suscitent la convoitise des pauvres bougres qui se sont installés dans de modestes bâtisses. Les désirs de consommation, d’aménagement et de décoration des niches funéraires fleurissent, les ci-devant damnés de la terre et les caveaux s’embourgeoisent, la concurrence s’immisce. « Un ordre savamment établi est rompu », un autre se met en place et avec lui « indiscrétion, médisance, envie [et] vanité ». Même le sage Nevarès n’a plus sa place dans cette société nouvelle. Chassé, l’ancien leader n’a plus de peuple. Un comité autoproclamé qui se réunit à la taverne du cimetière s’auto investie en pouvoir suprême et se charge de la redistribution des biens (entendre des caveaux). Ainsi, constate Nevares, « les espoirs réalisés ne duraient jamais longtemps, et à chaque ascension correspondait une chute plus dure ».
Dans Frivole fortune, Trinidad tue Lalo son collègue de chantier. Il déguise sa petite affaire, prend la place du macchabée auprès de Lupe, sa veuve, et empoche sa paie. Bon prince, avec l’argent, il achète un bijou pour sa nouvelle amie et compagne et se voit gratifier par l’étourdi commerçant de dix pesos de trop.
Dans une autre nouvelle, la fin tragique de la vieille Dona Xabela donne l’occasion d’une veillé bien arrosée pour une morte bien peu amène de son vivant. Au petit matin, le fils de la maison et ses amis, passablement « cuits », refusent de laisser les services des pompes funèbres emporter le corps de la défunte. Ils préfèrent incinérer eux-mêmes la chère disparue et, avec elle, … brûler la maison.
Les récits de ce livre ont pour trame des faits réels. Rien n’y est vraiment inventé. La plume du Catalan mort en 1994 s’efforce de saisir la singularité de ce peuple et de traduire, dans une prose dénuée de tout lyrisme, comment, les choses les plus étranges à l’entendement occidental, sont réalisées ici avec un naturel absolu. La mort, le désespoir, la mélancolie, la pauvreté frayent avec la vie, la générosité, les débordements, l’humour ou la dérision. La réalité, prosaïque et tragique, se mêle à l’absurde sur cette terre où tout manque « sauf la douleur et la misère » et où les gens sont, d’expérience, convaincus « que les bonnes choses ne se réalisent jamais ou alors seulement en échange d’un plus grand mal ».
Traduit du catalan par Denis Amutio et Robert Amutio, édition Les Allusifs, 2004, 148 pages, 14 €