Nora Hamdi
Des Poupées et des anges
Nora Hamdi est peintre, réalisatrice (elle a elle même adapté en 2008 ce premier roman au cinéma avec l’excellente Leïla Bekhi dans le rôle de Lya) et co-auteur, dans la même maison, d'une BD. Elle signait ici un premier roman sans surprises. Pourtant, les textes qui offrent l'occasion d'approcher les histoires familiales et les parcours existentiels des "Français d'origine algérienne", sous l'angle de l'expérience féminine, ne sont pas si nombreux pour ne pas s'y intéresser. En effet, aux côtés des écritures masculines, souvent d'une autre génération (Begag, Charef, Tadjer, Lallaoui… mais les choses bougent là aussi), les "auteures" se comptent sur les doigts… des deux mains : T.Imache, N.Bouraoui, S.Nini, M.Sif, F.Belghoul, M.Gazsi, F.Kessas voire M.Wagner (pour autant la liste n’est pas exhaustive et mériterait d'être actualisée…).
Dans Des Poupées et des anges, Lya, jeune fille au look sportif, adepte de taekwondo et de footing à répétition, rapporte l'histoire familiale, sa lutte pour préserver son indépendance et observe Chirine, sa sœur aînée, qui depuis son plus jeune âge cherche à quitter son milieu social et culturel pour devenir riche et admirée. Sur ce point, il n'y a rien de nouveau ici : un père qui a sa façon aime sa progéniture, mais exerce sur les siens un pouvoir tyrannique et même violent au point de susciter chez ses deux gamines de l'indifférence voir de la haine, une mère soumise et battue, des filles qui louvoient ou se battent pour défendre quelques espaces de liberté. Du moins pour Lya car Chirine jouit, elle, d'une totale et bien ambiguë indépendance, comme si à son endroit, le père avait abdiqué. Après une enfance dans un bidonville, la famille a été installée dans une cité du quartier parisien de Choisy.
Le plus séduisant dans ce roman, n'est pas cette interrogation sur le pourquoi les hommes s'échinent à fabriquer des "filles vides et mortes" à l'image de ces poupées offertes aux deux soeurs. Ce n'est pas non plus cette suggestion d'une ambivalence portée par la figure de l'ange qui peut aussi se révéler "terrifiant". Non, le plus séduisant réside dans cette perception, sensible et polyvalente, de la réalité schizophrénique des familles, des lieux et des êtres. Tout ce petit monde évolue, plus ou moins secrètement, dans plusieurs réalités, des réalités parfois inconciliables. Et les filles ne sont pas les seules. La gent masculine aussi. À commencer par le père, objet de tant de détestation et à qui pourtant, Nora Hamdi a su donner une douloureuse et émouvante réalité intérieure. Ou encore Medhi, le petit copain de Marie, l'amie de la narratrice, qui parce qu'il continue à voir (en cachette) son frère homosexuel doit subir les sarcasmes et l'hostilité de sa famille : "chez moi, ils ont jamais posé de questions. Quand ils ont appris, ils l'ont totalement ignoré, ont fait comme s'il n'existait plus du jour au lendemain et lui ont demandé de disparaître de leur vie". Et à la question de savoir si le sujet est abordé : "Non, c'est trop pudique, personne l'aborde, c'est tabou chez nous (…)".
Face à ce tabou de la sexualité, du côté féminin, les personnages de Nora Hamdi traduisent trois attitudes : la soumission ou l'abnégation (la mère), la rupture (Chirine) ou alors, avec Lya, ce souci de préserver son intégrité dans un combat quasi quotidien, quitte à enfreindre secrètement les règles du clan (la rencontre avec Mikaël) ou à accepter de céder (arrêter le taekwondo). Lorsque l'on refuse d'être une poupée, derrière le masque de l'ange se cache parfois non pas un démon, mais certainement une rebelle.
Editon Au Diable Vauvert, 2004, 212 pages, 17 €