Rafael Chirbes
Mimoun
Manuel, jeune professeur d'espagnol alcoolique et un brin dépressif, décide de partir enseigner au Maroc - histoire de se refaire une santé et de s'atteler sérieusement à la rédaction de son livre. À force de penser que l'herbe de son voisin est toujours plus tendre et plus verte que la sienne, on finit par oublier que l'on transporte avec soi ses démons. Dans ce premier roman paru en Espagne en 1988, Rafael Chirbes raconte la descente aux enfers de Manuel au cours d'une année passée à Mimoun, un village de l'Atlas situé dans la région de Fès. L'écriture, froide et distanciée, aux adjectifs et adverbes rares, participe pleinement de l'ambiance de ce livre étrange où, à vrai dire, il ne se passe rien : entre ses cours donnés à l'université de Fès, Manuel passe son temps à se soûler avec du mauvais alcool, à entretenir des relations de fortune avec encore plus paumées que lui, ou avec des prostituées réduites à l'état d'épaves. L'atmosphère y est glauque. La nuit : un néant hanté d'insomnies et de cauchemars où rodent la mort et des fuites sans fin.
Manuel n'est pas le seul étranger à Mimoun. Charpent, un Français, hurle la nuit, et Francisco est un artiste réfugié dans une maison maudite. Tous "cachent une partie de leur vie". La part d'ombre des personnages et des événements ne cesse d'envahir le récit. Le mystère est partout. Le pays lui-même est un mystère. Les personnages de Mimoun vont à la dérive dans un pays inaccessible.
"Il faut faire attention aux gens de ce pays", conseille Rachida, la femme de ménage, à Manuel. Mais de qui doit se méfier le jeune professeur ? De Driss, le policier fouineur et soupçonneux ? Du regard menaçant de ce costaud aperçu dans la voiture de Charpent quelques jours seulement avant sa mort ? Ou de Hassan, l'amant qui un soir le tabassera en lui jetant à la face : "Pour qui tu m'as pris ? Je ne suis pas une tapette ?"
Rafael Chirbes livre une peinture du Maroc bien peu reluisante : des femmes de ménages qui chapardent, des services publics omniprésents, abjects et corrompus, un policier alcoolique, des soudards et des prostitués, des arrivistes sans foi ni loi. Un tableau bien sombre et décourageant, n'était Sidi Mohamed, le père de Hassan. Un univers dépressif, mystérieux et finalement inquiétant. Pour Manuel, l'heure de fuir sonnera. Une fois de plus.
Traduit de l'espagnol par Denise Laroutis, Rivages, 2003, 145 p., 11,50 €