Identité 2
Continuons notre tour d'horizon littéraire sur ce thème cher à nos élus et futurs candidats aux prochaines régionales!
« Nous sommes issus de tant de brassages, de métissages, certes dans la violence et l’invasion, mais ils sont réels et constituent un rempart contre l’hégémonisme, contre le fanatisme, et un chemin à creuser pour peu qu’on cultive cette diversité pour asseoir un autre type, un nouveau type de légitimité de l’État. Si l’on n’infléchit pas la tendance de l’Unique, nous courons à la catastrophe (…) » Mourad Djebel
Yasin appartient à "la tribu des sans-domicile, des sans-Etat, des sans-attaches. J'ai deux passeports et un tas d'autres pièces d'identité qui indiquent où j'ai vécu, mais pas qui je suis…". Comme le personnage de Jack Crabb de Little Big Man, sa vie "est perturbée par tous ces gens qui, des deux côtés veulent consolider une frontière qu'il doit sans cesse traverser dans un sens, puis dans l'autre, pour survivre" Jamal Mahjoub
Les arguments que nous avançons pour nous ghettoïser sont les mêmes que d’autres utilisent pour nous exclure et garder le gâteaux pour eux. » « C’est l’isolement qui crée la prison, bien sûr, et comme pour n’importe quelle prison, il y a réclusion de part et d’autre des barreaux. » Eddy L.Harris
"Vos tentatives d’identifications laconiques – à entêtes réglementaires – policières
mes empreintes génitales
genèse de vos geignement passés et à venir
s’y refusent
qu’ils me classent
sans ma participation me répartissent
dans toutes les cases pré ou post mortem"
Mourad Djebel
« Tous, nous sommes faits de nombreuses parties, d’autres moitiés. Il n’y a pas que moi » Jeffrey Eugenides
« T’es pas américaine, a dit l’un des hommes. C’est un imbécile raciste, me dis-je à moi-même. Vraiment ? glapit ma petite voix. Et combien d’autres auraient été d’accord avec lui dans ce pays aujourd’hui ? Mais si je ne suis pas américaine, que suis-je alors ? » Chitra Banerjee Divakaruni
« Je pense aux gens dans les tours et dans les avions (…). Et aux gens comme nous, qui se voient avec les yeux d’étrangers, qui ont perdu leur identité. » Chitra Banerjee Divakaruni
« Des gens qu’elle n’a jamais vu lui disent à quel point ils sont navrés qu’elle ait dû traverser une si terrible expérience. Ils veulent lui serrer la main. Ils disent qu’elle est la bienvenue chez eux. Elle voudrait bien se sentir reconnaissante mais elle leur en veut. Ils lui donnent l’impression d’être une invitée.
« je suis née ici, a-t-elle envie de leur dire. Comment pouvez-vous me souhaiter la bienvenue ? »
Chitra Banerjee Divakaruni
« Je ne serais jamais un Français tout à fait comme les autres. Du reste, la femme que j’ai épousée à la veille de mon voyage en Bulgarie était, comme moi, une étrangère en France. Mon état actuel ne correspond donc pas à la déculturation, ni même à l’acculturation, mais plutôt à ce qu’on pourrait appeler la transculturation, l’acquisition d’un nouveau code sans que l’ancien soit perdu pour autant. Je vis désormais dans un espace singulier, à la fois dehors et dedans : étranger “ chez moi ” (à Sofia), chez moi “ à l’étranger ” (à Paris). » Tzvetan Todorov
« Toute ma vie je trainerais avec moi cette confusion, cette double date de naissance, comme un être à deux têtes, à quoi s’ajoute une double identité... ». Ook Chung
« je suis un Africain de la Caraïbe, de la Guadeloupe et je suis né en France. J’ai vécu mon enfance dans un petit village de la Haute Provence et j’assume toutes ces identités, qui ont fait de moi tout ce que je suis aujourd’hui. Mais le socle de ma personne c’est l’Afrique. » Claudy Siar, fondateur de Tropique FM.
« je suis profondément martiniquaise mais j’aime beaucoup dire que je suis de partout. Mes réflexions me ramènent souvent sur mon île natale. Mon identité n’est pas fermée. En m’installant en France métropolitaine, je me suis construite de plusieurs identités." Viviane Vincent enseignante
Puisqu’il faut plancher sur l’identité nationale voici du grain à moudre pour les candidats à rendre une bonne copie mais aussi pour un Besson et un Sarkozy qui nous ont refait le coup de la Marseillaise et de la terre. Le malheur, mais cela n’est pas une nouveauté (il faut lire ou relire Noiriel pour s’en convaincre), c’est que l’identité nationale est ici mobilisée comme la carotte et le bâton, agitée pour appâter et mieux battre le bougre d’immigré qui ne demande rien d’autre qu’on lui foute la paix et qu’on lui laisse le temps - une, deux ou trois générations - de devenir un Français pure sucre ! Quant aux autres – la majorité – une fois leur petite affaire faite (ou pas), ils repartent chez eux ou ailleurs, emportant souvent, à la semelle de leur soulier comme le chantait Enrico, un peu de la France et de sa culture. Voilà qui fait bien mieux pour le prestige de l’identité nationale que tous les discours démagogiques, le renvoi de trois Afghans et autres manipulations électorales.
Fabienne Kanor est originaire de Martinique et signait là son premier roman. Un texte fort, livré dans une écriture déjà personnelle, abrupte et sans concession. Elle y prend le risque d'aborder un sujet difficile et ambitieux : comment dans la relation sexuelle et/ou amoureuse, éviter les pièges de la mémoire. Mémoire d'une société, les Antilles ; mémoire d'une histoire, l'esclavage et la domination des Blancs ; mémoire familiale, marquée ici par l'adultère et la transgression des codes ? Sans jamais faiblir, F. Kanor déroule son sujet en un récit déstructuré, porté par plusieurs voix, mêlant le passé et le présent, les lointaines Antilles et la métropole, l'espace de la famille et celui de la cité universitaire. Frida est étudiante et, après bien des rencontres, tombe amoureuse d'Eric que Frida dit aimer comme "au premier jour", d'"un désir d'avant les cales", "d'avant les chiens". Sera-t-il "ce nègre" qu'elle attend "depuis trop longtemps" ? Eric l'aidera-t-il à chasser ses représentations intimes et ses traumatismes qui en font une femme aliénée par l'Histoire et un être fragilisé par la décomposition familiale et le poids d'un lointain secret reçu, à son insu, en héritage ? Sujet délicat et traité par Fabienne Kanor avec courage, elle qui n'hésite pas à "tremper sa plume dans la plaie" douloureuse d'une sexualité toujours taboue. Sexualité entre Noirs, sexualité entre Noirs et Blancs. Dans sa quête libératrice, Frida dénonce "l'errance cannibale des hommes du pays de ma mère", "ces hommes de sperme et de paille" dont, depuis l'enfance, elle a appris à se méfier : "Etre élevé dans la peur de l'homme noir génère des troubles de comportement provoquant chez la négrillonne devenue femme des réflexes d'autodéfense, une attitude de violence ainsi qu'une méfiance absolue à l'égard de tout sujet répondant de près ou de loin à la définition du nègre". "La tentation de la chair blanche" chez l'homme noir n'est pas non plus innocente ou vierge de mémoire. Ces femmes à la peau laiteuse, celle avec qui le père de Frida a trompé sa mère ou celle avec qui Eric partage son lit, sont des "ombres" qui pénètrent "comme esprits de nuit dans les crânes. Possession. Obsession. Colonisation". À l'inverse l'interrogation qui taraude les "gamines" ("c'est comment faire l'amour avec un Blanc ? Est-ce différent ? Est-ce si différent ? ") est aussi engluée dans la fange de l'histoire.
Ni "guide", ni vraiment tristes, sont les quatorze nouvelles de ce recueil où l'auteur d'Un monde pour Julius (chez le même éditeur) brosse, entre réalité et imaginaire, les souvenirs et les portraits d'exilés latino américains dans le Paris des années soixante. Plus que de tristesse, c'est peut-être de nostalgie dont il est fait état ici. Ce sentiment qui étreint les plus âgés à l'évocation d'un temps qui n'est plus et d'un espace devenu méconnaissable, où les plus jeunes poussent leurs aînés vers l'inconnu. Comme il est bien loin le temps des études au Quartier Latin ou à l'institut Goethe ! Car le monde de ce "guide triste" n'est pas celui de l'immigration ouvrière mais celui d'une jeunesse estudiantine, passablement insouciante, agrémentée, ici ou là, de quelques figures atypiques et souvent fort estimables comme ce Luis Antonio Vera, "exemplaire de Péruvien optimiste du début à la fin et de A à Z" ou Rosita San Roman, vieille dame respectable, officiant à l'ambassade du Pérou, amatrice de whisky et amoureuse de la ville Lumière, mais qui se laissera prendre par l'un des nombreux pièges tendus par cette "canaille" de Paris.