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Guide triste de Paris

Alfredo Bryce-Echenique
Guide triste de Paris


Alfredo_Bryce_Echenique.jpgNi "guide", ni vraiment tristes, sont les quatorze nouvelles de ce recueil où l'auteur d'Un monde pour Julius (chez le même éditeur) brosse, entre réalité et imaginaire, les souvenirs et les portraits d'exilés latino américains dans le Paris des années soixante. Plus que de tristesse, c'est peut-être de nostalgie dont il est fait état ici. Ce sentiment qui étreint les plus âgés à l'évocation d'un temps qui n'est plus et d'un espace devenu méconnaissable, où les plus jeunes poussent leurs aînés vers l'inconnu. Comme il est bien loin le temps des études au Quartier Latin ou à l'institut Goethe ! Car le monde de ce "guide triste" n'est pas celui de l'immigration ouvrière mais celui d'une jeunesse estudiantine, passablement insouciante, agrémentée, ici ou là, de quelques figures atypiques et souvent fort estimables comme ce Luis Antonio Vera, "exemplaire de Péruvien optimiste du début à la fin et de A à Z" ou Rosita San Roman, vieille dame respectable, officiant à l'ambassade du Pérou, amatrice de whisky et amoureuse de la ville Lumière, mais qui se laissera prendre par l'un des nombreux pièges tendus par cette "canaille" de Paris.
Tout au long de ces récits, l'amour est souvent contrarié, la drague prend les allures du machisme sud américain, la littérature, omniprésente, est parfois délaissée pour une autre et exclusive amante : la révolution ; la vie de bohême et sans le sous n'empêche nullement quelques fêtes bien arrosées financées par quelques entourloupettes faites à des paramilitaires argentins et si mai 68 passe, c'est pour y mentionner la "plus belle mort" de ce mois révolutionnaire…
Le Paris de Bryce-Echenique est encore celui des concierges ; déjà celui des chiens ("la France est sans nul doute le pays au monde qui a la plus forte densité de crottes de chien au millimètre carré de rue") ; toujours celui de voisins irascibles et hypocondriaques qui ignorent que "la vie peut être aussi rythmée et allègre, chantée et dansée…", et éternellement celui des chauffeurs "ronchons, c'est-à-dire parisien".
Nullement tristes sont ces jeunes exilés latinos. Ils portent en eux une insouciance juvénile et communiquent une joie de vivre rythmée par les danses et les chants du continent sud américain et tant pis si le vin est servi dans des flacons de Nescafé ! Et puis il a ce Paris dont beaucoup sont tombés amoureux au point de ne plus le quitter. Bryce-Echenique égrène alors les joies mais aussi les douleurs et les drames des uns et des autres comme ceux qui ont traversé la vie de Guillermo Ojeda, vieillard de cent douze ans qui, du fond de son lit, se remémore de vieilles histoires : "je suis péruvien et noir et en plus j'ai voulu être français et heureux sans renoncer à être péruvien et noir, car j'en suis fier, et je n'ai voulu qu'ajouter un "et en plus français et heureux" à tout ce que j'attendais de ma venue à Paris, dans le milieu du XXe siècle".
Alfredo Bryce-Echenique livre son "guide" dans une prose élégante et légère, maniant l'humour avec finesse et décochant quelques coups de griffes toujours avec retenue. Cette langue et cette exigence littéraire ne sont sans doute pas peu pour rendre ces récits, in fine, si peu attristants.


Traduit de l'espagnol (Pérou) par Jean Marie Saint-Lu, éd. Métailié, 2003,187 pages, 16 euros

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