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  • L’Orient après l’amour

    Mohamed Kacimi

    L’Orient après l’amour

     

    kacimiweb2.jpgL’Orient après l’amour c’est, après une nuit arrosée de promesses et d’arak, un réveil avec une gueule de bois à vous taper la tête contre les murs ! « Notre utopie est derrière nous. Nous étions tellement convaincus de vivre rive gauche que nous n’avons rien vu venir » écrit Mohamed Kacimi.  Et oui, ce jeune quinquagénaire parle d’un temps où, à un concert de Léo Ferré à Sidi Ferruch, aux « ni Dieu ni Maître » de l’artiste, le public répondait par « la Rabi-ou-la Nabi » « Ni Dieu ni Prophète ». « C’était en 1975. » Un temps que les moins de vingt ans…

    Qu’importe ! il reste à vider quelques verres avec Kacimi. Et le lecteur, même abstème, en redemande. Ne serait-ce que pour la vivacité et l’impertinence de sa langue pétrie d’un humanisme aux accents soufis et de cet humour qui depuis le lointain Mouchoir jusqu’à La Confession d’Abraham traverse l’œuvre du poète et romancier né du côté d’El Hamel en Algérie.

    Sur les rayons de la bibliothèque, Kacimi voisine avec Kateb Yacine, et comme aurait dit « l’Ancien », ce livre « vaut son pesant de poudre ». M.Kacimi manipule de la dynamite. Libertés, religions, femmes…tout y passe et sans faux-semblants. Souvent même avec courage. M. Kacimi raconte sa jeunesse algérienne et ses pérégrinations dans le monde arabe, de Djeddah  à Fès en passant par Sanaa, Beyrouth, Jérusalem, Le Caire ou Alger.  Il ne tergiverse pas : « Ce monde arabo-musulman est un vaste Goulag, sans Zinoviev ni Soljenitsyne, où Dieu qui est grand a pris la place du Petit Père des peuples. » Partout, il décrit un islam oppressant et oppressif, vindicatif et arrogant, négatif et castrateur, amnésique et sans culture. Des sociétés sans liberté et surtout des femmes, affublées de voiles de toutes formes, et soumises au joug du premier foutriquet venu mais que Dieu, dans sa miséricorde, a fait mâle. Ces violences sont racontées avec distance et élégance. En dramaturge, il met en scène cet « orient complexe » via des petits entretiens incisifs et suggestifs et le tableau des situations typiques autant que des événements insolites.

    Le co-auteur d’Arabe vous avez dit arabe est bien placé pour déconstruire la vision que ses concitoyens ont de l’islam et du monde arabe. Pour autant, il privilégie l’image que renvoient aujourd’hui les musulmans. Rien à voir avec l’islam de papa ! Justement,  à propos de son père : « Je l’ai entendu un soir, à une fête à la gare du Nord, dire à une amie parisienne qui lui précisait que, eu égard à sa présence, elle se refusait à servir du vin à ses invités :

    - Mademoiselle, si ma présence restreint votre liberté, je préfère prendre congé.

    Il était alors inspecteur général des affaires religieuses. »

    Pas étonnant alors qu’en France il fasse partie de ceux qui refusent de tomber dans le panneau : qu’il s’agisse de l’affaire des caricatures ou du voile, il ne mâche pas ses mots et ses démonstrations pour ce qui n’est rien d’autre qu’un « signe d’avilissement », un « instrument d’aliénation ».

    Mais, quand en 2005, il voit « ressortir une loi de la guerre d’Algérie pour pacifier la banlieue », il fulmine et pose un méchant regard sur l’intégration. Il sert alors une autre version de la France « moisie » : « ce pays a trop écrit, trop vécu, trop rêvé, trop guerroyé, trop inventé, trop pillé, trop travaillé. C’est le temps du troisième âge et il faudra s’y faire. »

    Cela est peut-être excessif, mais cela vient d’une voix qui jamais n’a crié avec les loups. Kacimi qui a placé en exergue une citation de rabbi Nahman - « Plus les temps seront durs, plus notre rire sera fort » - semble comme impuissant et désarçonné : « que ferons-nous demain, nous, citoyens de culture musulmane ayant fui nos pays d’origine en raison de la dictature du religieux, de l’absence de démocratie, et qui avons choisi la France comme terre d’accueil ou comme patrie, que ferons-nous quand nos filles à l’école publique se feront traiter de putes et traîner dans les caves  parce qu’elles n’auront pas porté de voile, et que nos garçons se feront traiter de mécréants car ils n’auront pas respecté le ramadan dans les cantines ? Ne pas céder sur l’affaire du voile, c’est rendre un immense service à l’islam, lui apprendre qu’il n’est pas la religion unique mais une parmi les autres et que la France ou l’Europe ne sont pas des terres de conquête mais des territoires de partage. » Kacimi n’a pas envie de devoir écrire demain :  La France après l’amour !

     

    Editions Actes Sud, 2008, 205 pages, 19 €

  • Le Petit Malik

    Mabrouck Rachedi

    Le Petit Malik

     

    petit-malik-mabrouck-rachedi-L-2.jpeg« Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d'expérience malgré le nombre des années ». Cette réflexion de La Rochefoucauld pourrait servir d’illustration au nouveau roman de Mabrouck Rachedi qui avait publié Le Poids d’une âme en 2006 chez le même éditeur.

    Mabrouck Rachedi livre ici la vie de Malik en séquences, en tranches de vie, déclinées depuis le premier âge (cinq ans) jusqu’au bel âge (26 ans) en passant par l’âge ingrat d’une adolescence particulièrement imbécile.

    Comme pour son premier roman, Mabrouck Rachedi offre l’originalité d’une langue alerte, d’un ton plaisant et fluide, mélange d’humour et de distance. Son personnage n’est pas à désespérer de l’humanité et sa banlieue, sans être solaire, ne présente pas pour seul visage une triste et grise mine. Chez Mabrouck Rachedi le roman n’est pas un pamphlet et quant à désespérer le lecteur de l’humanité, les rubriques de nos gazettes s’en chargent fort bien.

    Pour autant la jeunesse du petit Malik n’a rien de folichon. Ces petits épisodes livrés en trois ou quatre pages allègres décrivent d’abord les copains et autres figures de la cité. Il y les deux amis Salomon, le « Feuj » et Abou, le « re-noi ». Avec un ballon rond, ces trois-là étaient imbattables. « Notre diversité forgeait notre complémentarité sur le terrain » dit Malik. Boualem, lui, fut un temps, le « plus que parfait » celui dont tous dans le quartier étaient « inconditionnels » avant de découvrir qu’il était… « keuf ». Moussa campe la caricature du rappeur instrumentalisé par les maisons de disques et autres journalistes ; Sam, lui, futur footballeur professionnel, est l’autre versant de la « mascarade » médiatico-politique. François est l’alter ego de Moussa, expert en création d’associations en tout genre et tout terrain. Comme dans L’Arbre d’ébène de Fadéla Hebbadj, il est question de dévouement maternel et de Romain Gary, celui de La Promesse de l’aube : « bref la mère de Gary c’était la mienne » dit Malik après avoir lu le bouquin.

    À 14 ans arrive l’âge des premiers larcins, puis de l’échec scolaire. Le prosélytisme est… évangélique - cela change des barbus et des voilées.  L’antisémitisme est light mais les tournantes, à 17 ans, bien réelles. Mabrouck Rachedi raconte la perte du langage et donc du lien social ou affectif, les ravages de la came, le zèle de la police, le chômage, les boulots d’intérim, les réussites freinées par les discriminations qui font que le « plafond » des uns est le « plancher » des autres, le sentiment de solitude et d’échec !

    Malik grandit au milieu de tous et de tout cela. Il pousse dans l’entre-deux. Entre Abdou et Salomon : glisser irrémédiablement vers le fond ou s’accrocher et gravir quelques paliers, même péniblement, même contre la force d’un vent social hostile. Malik n’est pas aveugle : « nous qui nous rêvions beaux gosses, on était que des branleurs ». Il sait même ce qui serait bon pour lui : Areski [l’avocat], il habitait le quartier. C’était le genre de personne qu’on voit jamais à la télé pour représenter une intégration réussie. Y avait aussi Bachir le comptable, Madjid l’informaticien, Abdel le propriétaire de la boulangerie, Ramzy le chercheur au CNRS… Pourtant, moi, à dix piges, des gars comme eux, ça m’aurait servi d’exemples. »

    À la fin du livre Malik a 26 ans. Va-t-il enfin démentir La Bruyère ? « La jeunesse à tout pour elle sauf l’expérience » disait aussi Kateb Yacine. Le temps de l’expérience est-il arrivé pour Malik, le temps de s’éloigner de « l’esprit du ghetto » comme lui suggère son vieil ami Salomon ? Tiens, voilà qui rappelle Harlem, d’Eddy L.Harris ! « Je ne suis prisonnier ni de Harlem ni de la couleur de ma peau »…

     

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    Edition J.C.Lattès, 2008, 204 pages, 16€

     

     

  • Je ne verrai pas Okinawa

    Aurélie Aurita

    Je ne verrai pas Okinawa

     

    Aurelia_Aurita_20071019_Fnac_1.jpgA l’heure du règne de « l’immigration choisie », de la suspicion généralisée à l’endroit du modeste voyageur simplement épris de culture, de découverte, d’échange et peut-être d’amour, il n’est pas aisé de passer les frontières. D’accord ! Certaines frontières et certains voyageurs… Mais la mésaventure peut aussi arriver à une charmante française désireuse de retrouver son amour installé au Japon. C’est ce que raconte la mangaka française Aurélie Aurita dans Je ne verrai pas Okinawa. L’expérience est autobiographique. L’auteure signait là sa troisième Bd après Fraise et Chocolat, diptyque polisson et même torride paru chez le même éditeur.  

    Le coup de crayon est léger, minimaliste, un brin naïf à l’image de cette charmante Chendu qui se voit refuser par les services de l’immigration un séjour de trois mois dans l’Empire du milieu. Trop long ! Cela est suspect. Imaginez que la petite « Frenchie » en profite pour trouver un travail… Aurélie Aurita, raconte avec efficacité et une désarmante franchise - dialogues et dessins - l’humiliation, la déshumanisation, l’indignité qui affligent l’étranger pris dans les filets de fonctionnaires peu amènes, gardiens en chef de l’Etat nation. A contrario, si la loi est dure, le Nippon lui est bon : partout, le couple de Français enfin réuni est accueilli avec bienveillance et gentillesse par les Japonais, dans les rues, au restaurant et dans le voisinage.

    Cela est sans doute un peu forcé et subjectif car, comme le montre dans une postface alerte Michel Temman le correspond local de Libération, « le rapport du Japon avec les étrangers, avec l’étranger, demeure ambigu ». Qu’importe, « tout au fond de moi-même je sais que j’ai le droit de vivre ici » dit Chendu. Voilà qui rappelle les propos d’un grand sédentaire devant l’éternel, Emmanuel Kant qui, dans son Projet de paix perpétuelle, écrivait : « personne n’a originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu’à un autre ». Et pourtant, Chenda ne verra pas Okinawa…

     

    Editions Les Impressions nouvelles, 2008, 80 pages, 12€

     

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  • English

    Wang Gang

    English

     

    0023ae5d932f0b3bb4420a.jpgUne fois de plus, dans ce roman chinois, il est question de Révolution culturelle. Mais ici nous sommes à Urumqi, au pied du Tianshan, en pays ouighour, dans la province de Xinjiang à l’extrême ouest de la Chine, bien loin de Pékin.  Si cette période « où le bonheur était rouge du sang versé » imprime sa marque sur les êtres et les événements, ce qui compte ici est la relation qu’un gamin, Liu Aï, entretient avec un dictionnaire de langue anglaise et son propriétaire, Wang Yajun, le professeur d’anglais tout juste débarqué de Shanghai. « Lorsque Wang Yajun était passé pour la première fois près de moi, cette odeur prenante m’avait soudain fait comprendre qu’il pouvait y avoir de belles choses au monde. »

    Car ce Wang Yajun détonne. Parfumé, toujours bien mis, raffiné, pondéré en toute chose, l’homme demeure enthousiaste et souriant. Pourtant dit le père à son fils : « Tu imagines, en se parfumant ainsi dans une période pareille, Wang Yajun ne pouvait que s’attirer des ennuis. » Des ennuis et des ragots.

    Jamais, le distingué professeur ne se départira de son sourire. « Son sourire amène et réservé me rend infiniment triste, encore aujourd’hui, chaque fois que je pense à lui, je m’interroge : pourquoi suis-je triste quand son sourire me revient en mémoire ? »

    Là est la force de ce livre, ces réminiscences humanistes et lumineuses sont évoquées avec distance et raffinement, jamais salie par la boue noire de la terreur et de l’horreur. L’énergie de l’enfance, le regard vif et curieux de Liu Aï sur le monde se mêlent à la mélancolie et à la mansuétude que porte l’adulte sur le gâchis et l’ignorance qui se répandent et broient les hommes et les vies.  « Voler » est « le mot-clé de ce roman. (…) ».  Dans English ce sont les existences, l’intimité des corps, les secrets les mieux gardés, un dictionnaire ou un billet de cinq yuans qui sont volés.

    Si, bien plus tard, le narrateur devenu adulte déclare à propos de Wang Yajun, avoir été « contaminé » par le « parfum de son corps », le lecteur sait qu’il s’agit d’une contamination plus envoûtante encore : « Wang Yajun, toi qui tel un soleil fait tout rayonner sur son passage, / Là où tes pas te mènent, ohé, ohé, là où tu vas, le peuple est libéré. »

    Liu Aï est curieux, écoute aux portes, ouvre les tiroirs de ses parents - eux par ailleurs si jaloux de leur intimité respective - , observe, caché dans les branches d’un arbre, ce qui se passe dans le logement de son professeur d’anglais … « Un garçon qui agit au mépris de tout principe sans en éprouver la moindre indignité, sans le moindre scrupule, n’était-il pas symptomatique de la dégénérescence de l’espèce ? » interroge l’auteur selon une technique souvent répétée : interpeller le lecteur, l’inviter à réfléchir pour faire siens ce qui semble être le sel de ce texte : montrer la complexité des comportements, les paradoxes et les faiblesses des êtres.

    Fils unique d’une famille d’intellectuels (le père et la mère sont architectes), Liu Aï raconte tout, les bassesses et les lâchetés des adultes, les compromis, l’éveil des sens, les premières séances de masturbation pour calmer un corps torturé par le désir, son amour pour la belle et noble Hajitaï, prof de ouighour, une erzhuanzi, c’est-à-dire « de double ascendance » - ouighour et han.

    La prouesse d’English est de n’enfermer aucun des personnages dans un jugement hâtif, asséné avec la force de la certitude. L’ambivalence et le doute sont au cœur des événements ici rapportés, y compris les plus sordides : l’adultère, la dénonciation, la jalousie et même le meurtre… Aux « anomalies » d’« une période de souffrance, où un professeur d’anglais, dans sa solitude, n’avait qu’un enfant en face de qui épancher son cœur », se mêlent les contradictions et les fragilités d’une humanité malmenée.

     

    Traduit du chinois par Pascale Wei-Guinot et Emmanuelle Péchenart, édition Philippe Picquier, 2008, 463 pages, 22€