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Pour une histoire de la guerre d’Algérie

Guy Pervillé
Pour une histoire de la guerre d’Algérie


17octob3.gifL’histoire, entendez cette quête d’un savoir scientifique libre de tout pouvoir, pourrait-elle être cet outil qui aiderait enfin à concrétiser le pari hasardeux - et solitaire - du général de Gaulle de placer la coopération franco-algérienne sous le sceau de l’exemplarité ?
Voilà une autre façon d’aborder le travail de l’historien Guy Pervillé pour qui « il est sûr, en tout cas, que la reconsidération critique du bilan de la guerre d’Algérie dans les deux pays est nécessaire » à l’« assainissement » des relations franco-algériennes.
Notre professeur toulousain, auteur de nombreux livres et articles sur ce sujet, n’a pas écrit un énième manuel de la guerre d’Algérie ou livré du neuf à partir d’archives inédites exhumées des secrets de la République française ou de l’omerta des généraux algériens. L’air du temps, du moins en France et pour une partie des acteurs du drame (ou de leurs descendants), est à l’apaisement et à la réconciliation des mémoires.
Aussi, depuis le débarquement et les dix premières années de la présence française en Algérie, marquées par l’improvisation ; jusqu’aux récents et médiatiques procès, en passant par le départ des Pieds-noirs, à l’issue d’une guerre dont on ne sait toujours pas fixer la date du cessez-le-feu, Guy Pervillé revient, point par point, sur ces douloureux sujets de controverses, objets d’amertumes, de blessures et de mémoires en bataille. Tout ici est passé en revue : la conquête et la « fatalité » du « déclin futur » de la colonisation, l’échec de la politique de Napoléon III, le fiasco de la politique d’assimilation des « indigènes », la société coloniale construite par la superposition de castes et de races, jusqu’à l’incapacité des derniers gouvernements de la IIIe République à adopter les réformes indispensables à répondre aux aspirations des Algériens musulmans et à éviter la guerre.
Une guerre de sept longues années qui, à son tour, laissera sur son sillage une théorie plus longue encore de débats et de polémiques. Ainsi, de la place de l’islam et de manière plus générale des questions identitaires dans la révolution algérienne et dans la définition du futur Etat indépendant ; du rôle et de l’origine des violences (massacres, violences « xénophobes », dérive dictatoriale du FLN...) ; de l’occultation de la double guerre civile (entre Algériens d’une part, entre Français de l’autre) ; de la torture et de la politique de pacification avec les criminels regroupements de plusieurs millions d’Algériens ; sans oublier les controverses pour savoir qui a gagné cette guerre (l’armée, le général de Gaulle ou le FLN ?) et celles, interminables, sur l’action de l’homme du 18 juin ; les déchirements sur les responsabilités dans l’échec des accords d’Evian et la poursuite des violences jusqu’en 1963 ou les empoignades sur le bilan chiffré de cette guerre...
Sur tous ces points de fixation s’écrasent et se heurtent des mémoires plurielles, divergentes et antagoniques. L’historien rappelle les arguments des uns et des autres et tente souvent de crever les abcès mémoriels en maniant le scalpel de la raison critique. Si ce travail de mémoire, mené de concert avec l’historien, est essentiel ce n’est pas tant pour réconcilier les uns et les autres avec un passé qui s’éloigne à petits pas que pour permettre aux jeunes générations, et plus encore à celles de demain, de débarrasser les têtes et les corps du remugle d’une guerre qui fait les fraternisations suspectes et les horizons bouchés. De ce point de vue, libre aux officiels officiers algériens de se fourvoyer mais ce faisant, malheureusement et surtout, de fourvoyer leur pays dans une mémoire qui insulte le passé, ensanglante le présent et condamne l’avenir. Depuis Mouloud Feraoun jusqu’à Boualem Sansal, les Algériens sont nombreux à ne pas être dupes et l’historien se risque ici à quelques escapades littéraires pour le montrer et laisser entendre que les ratés de l’école et de la pensée en Algérie sont, comme le disaient clairement Abdelmalek Sayad ou Tahar Djaout, le plus grand échec de ce pays. En France, ce devoir de mémoire débarrassé des scories de la passion et d’un engagement d’un autre âge, doit servir à rapprocher les Français entre eux et notamment les Français avec ceux des leurs qui sont d’origine algérienne d’une part et avec les immigrés algériens d’autre part. Selon l’auteur, « pour éviter que ces conflits de mémoires ne fassent ressurgir les anciens affrontements, les historiens peuvent jouer un rôle utile, en expliquant aux uns et aux autres pourquoi ils doivent vivre ensemble dans le même pays, pourquoi la politique d’assimilation ou d’intégration que la République prétendait réaliser en Algérie a tragiquement échoué, et à quelles conditions elle pourrait réussir en France ».
C’est cette nouvelle tâche qu’assigne Guy Pervillé à l’Histoire. Pourquoi pas ? Cela est tout de même plus honorable que de devoir servir les intérêts de la colonisation ou, pour des raisons exactement inverses, enfermer la présence française en Algérie dans le carcan d’une « nuit coloniale ». Pour être immense, la tâche qui consiste à œuvrer à créer les conditions d’un vivre ensemble harmonieux et républicain sur les décombres de cent trente-deux ans de colonisation dont sept années d’une guerre atroce - sans parler des siècles de suspicion entre Chrétienté et Islam - semble plus réaliste que le pari, toujours hasardeux mais bien moins solitaire, du général de Gaulle. Du moins en France.

Edition Picard, 2002, 356 pages, 33 euros


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