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Origines

origines.jpgAmin Maalouf

Origines

Amin Maalouf convie le lecteur dans l'intimité de son histoire familiale. Il remonte le fil du temps moins pour retracer la vie des siens que pour démêler cet écheveau d'artères dont il est issu, qui le constitue et qui, dans le secret de la création, l'irrigue quotidiennement. Car cette haute figure de la littérature appartient à une tribu dont le nid perche sur les hauteurs de La Montagne libanaise et ses appartenances, communautaires, confessionnelles, nationales, culturelles comme ses influences familiales (voir à ce sujet les premières lignes de son inestimable essai sur Les Identités meurtrières), sont passablement emberlificotées : "l'histoire des miens est d'abord celle de ces mélanges des eaux".

"Origines", et non pas "racines", tient de l'enquête généalogique, du journal, de la recherche historique et du roman. A.Maalouf y raconte pour l'essentiel la vie de son grand père Botros et celle de Gebrayel, le grand oncle parti tenter sa chance à Cuba.

A.Maalouf déploie une écriture précise, posée et limpide. La pensée est nette, toujours argumentée. En conteur, il sait rendre sa phrase ronde et suave, souvent imagée, excitant la gourmandise, la curiosité et l’intérêt. Comme dans un bon polar, le lecteur participe à l’enquête, retrouve le passé, dénoue les intrigues, lève les mystères de ces existences qui appartiennent à un autre siècle. Nuls secrets de famille inavouables ici, sorte de pêché originel qui vous plombent des générations entières. Non, seulement des vies, avec leurs réussites et leurs échecs, leurs drames et leurs joies, leurs unions et leurs séparations. Leurs silences aussi. Et c'est là que, sous la plume d’A.Maalouf, l'histoire de famille devient roman. Il donne à "ses personnages " - en fait ses parents - une stature de héros, une profondeur et une complexité psychologique. Il montre leurs grandeurs mais, comme "on ne tient pas la vérité au bout d'une laisse", il ne cache rien de leurs faiblesses.

À travers cette saga familiale, défilent l'histoire de l'Empire ottoman, les guerres et les persécutions intercommunautaires du Levant, le mouvement des idées (des Jeunes Turcs à Kemal Atatürk), la première guerre mondiale et ses retombées au Liban et en Syrie, la famine de 1915, le protectorat français et, bien sûr, la noria des migrations qui vit s’exiler tant de Libanais, qui en Egypte, qui en Europe, qui aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud. C'est d'ailleurs à Cuba qu'Amin Maalouf partira aussi à la recherche des siens, sur les traces de Gebrayel, le grand oncle "à l'âme de conquérant". Les pages consacrées à ces quelques jours passés sur "l'île chaleureuse" sont parmi les plus émouvantes. Il y retrouvera un lointain descendant de cette branche familiale émigrée. Un "enfant octogénaire" qui toujours souffre de "la blessure de la séparation".

De cette épopée, Amin Maalouf tire au moins deux enseignements de portée universelle. Le premier, dans le droit-fil de toute son œuvre, incite à "juger les événements à la lumière des principes universels et non en fonction de [ses] propres appartenances".  Cette attitude lui vient de Botros, ce grand-père, poète et pédagogue, homme libre et entêté, pourfendeur de l'obscurantisme et du fanatisme, partisan infatigable de l'égalité. Botros voulait changer les hommes en terrassant l'ignorance et réveiller les peuples d'Orient sans singer l'Occident ou le passé. "C'est dans les ruines de sa révolte que je cherche mes origines" écrit son petit-fils.

Le second tient à la place à accorder aux ancêtres. Le tableau généalogique présent en fin de volume en est l'illustration. Plutôt qu'une présentation verticale où les derniers nés seraient les dépositaires passifs d'un héritage, Amin Maalouf propose une figure plus complexe où le centre est occupé par l'intéressé. S'il subit les influences de ceux qui l'entourent, il n'est plus un réceptacle passif, mais se pose en sujet capable de démêler les influences reçues (ou subies), voir et éventuellement de les choisir (ou de les revendiquer), capable aussi de saisir en quoi il est la concrétisation de virtualités léguées et en quoi il peut devenir porteur de nouvelles. Ainsi, " si notre présent est le fils du passé, notre passé est le fils du présent. Et l'avenir sera le moissonneur de nos bâtardises".


Éd. Grasset 2004, 487 pages, 21,50 euros

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