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Middlesex

is.jpegJeffrey Eugenides

Middlesex


Livre protéiforme et envoûtant que ce Middlesex écrit par Jeffrey Eugenides qui, après avoir publié  Virgin Suicides, donne ici une histoire passionnante déjà couronnée aux Etats-Unis du prix Pulitzer et traduit dans plus d’une vingtaine de pays. Succès total donc pour ce pavé qui jamais ne tombe des mains malgré la démesure du propos.

Jeffrey Eugenides raconte dans un style fluide, aux phrases courtes, jamais pompeuses, riche en émotions et en humour, l’histoire, sur trois générations, d’une famille d’origine grecque installée aux Etats-Unis. Le récit est porté - tantôt à la première personne, tantôt à la troisième - par Cal, le petit-fils de Desdemona et Lefty Stephanides qui, en 1922, fuyant les persécutions ottomanes contre la communauté grecque, parviennent à embarquer sur un navire à destination des Etats-Unis. Comme dans la nouvelle La Fiancée d’Odessa de l’écrivain d’origine argentine Edgardo Cozarinsky, ce couple de migrants emporte avec lui un secret et porte les germes d’une extraordinaire bifurcation existentielle que seule la vie peut produire. Ce secret inavouable, porté jusqu’à la mort par Desdemona comme une culpabilité jamais atténuée, événement fondateur de cette saga états-unienne, Cal en est l’héritier, bien involontaire et, un temps du moins, bien malheureux. Pour le dire rapidement et crûment : Cal « a hérité d’un gène récessif sur [son] cinquième chromosome et de bijoux de famille d’une extrême rareté ». Ce qui fait dire au narrateur qu’il a eu « deux naissances ». D’abord comme fille puis, à l’adolescence, comme garçon. La petite Callie devient alors le jeune Cal. Bienvenue donc dans le monde des hermaphrodites !

Deux lignes de force traversent cette histoire, l’une culturelle, l’autre sexuelle. Elles défilent en rapport de symétrie avec pour axe, un même sujet, celui de la différence. J.Eugenides présente une autre et convaincante illustration de ces identités complexes nées du nomadisme de l’espèce humaine et des hasards de la génétique. « Tous, nous sommes faits de nombreuses parties, d’autres moitiés. Il n’y a pas que moi » dit Cal.

Si les grands-parents « bricolaient » une identité à deux étages, les parents, eux, n’occupèrent qu’un seul de ces deux niveaux, celui de l’assimilation. Cal, lui, hérite de toute la maison, c’est-à-dire d’une identité composite et des inévitables interrogations qui en sont le lot. Doublement même. En poste à Berlin, cet Américain pur sucre mais petit-fils de Grecs, réside dans le quartier turc où il se sent bien. Comme ses aïeux, il vit parmi les Turcs et recherche même leur compagnie… Quant à Cal hermaphrodite, l’adulte masculin garde en lui intacte sa féminité première. L’homme est attiré par les femmes, comme d’ailleurs, petite, Callie était déjà tombée amoureuse d’une autre camarade de classe. Dans le récit, il noue une relation amoureuse, durable peut-être, avec Julie. Cette sensibilité masculine retrouvée et affirmée n’atrophie nullement chez Cal, notamment dans son rapport à sa mère, sa riche sensibilité de femme. Jeffrey Eugenides semble s’amuser ici - et son lecteur avec lui - à comparer la légèreté et la finesse des femmes à la lourdeur et souvent la grossièreté des hommes… Les différents niveaux du discours ou de la langue utilisée par les personnages du roman traduisent ces différences culturelles et sexuelles.

En contre point à cette double histoire, familiale et individuelle, défile près de cinquante années de l’histoire des Etats-Unis. Par touches successives, sans jamais en faire trop, Jeffrey Eugenides replace la saga des Stephanides dans le contexte d’un demi-siècle riche en événements : Prohibition, Seconde guerre mondiale, guerre du Vietnam, émeutes noires à Détroit dans les années 70, montée du mouvement des Black MuslimsAmericain way of life et mouvements de contestation des jeunes générations, déchirements de la communauté grecque causés par l’affaire chypriote… De façon quasi encyclopédique, J.Eugenides restitue les repères, les objets, les parfums, les inquiétudes et les espérances qui ont marqué la société américaine et la vie des Américains durant ces cinq à six décennies. Ce qui ne fait qu’accroître encore la forte puissance d’évocation et d’émotion de ce récit.

 

Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko, éd. de l’Olivier, 2003, 682 pages, 21 euros.

Commentaires

  • Pas mal, mais ça manque d'images, ne serait ce que la photo de la couverture du bouquin par exemple...

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