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Allah Superstar

detail_of_the_musicians.jpgY.B.

Allah Superstar

 

La rentrée littéraire de l’année 2003 fut incontestablement marquée par le livre de ce sulfureux journaliste algérien, venu en France en 1998 suite aux menaces qui pesaient sur lui dans son pays. Une couverture médiatique tous azimuts, une présence dans la sélection de quelques prix littéraires et même une passe d’armes (toujours bon pour la promo) avec Jack-Alain Léger dans les colonnes du quotidien Libération, voilà de quoi rendre suspect un roman aux yeux de certains. Ajoutons, il faut en convenir, une histoire pas très bien ficelée (comment en singeant un terroriste islamiste, Kamel Hassani, le fils d’un Algérien et d’une Française qui a grandi du côté d’Evry devient une star du comique) et un tir de barrage sur ce qui depuis quelques années fait l’actualité. Cette fragile structure romanesque et ce surfing médiatique peuvent laisser croire qu’Y.B. cède ici à la facilité. Sauf que l’intérêt d’Allah Superstar est ailleurs et d’abord dans son écriture. On y retrouve le ton décapant et provocateur qu’affectionne l’auteur. S’y ajoute ici sa virtuosité à se glisser dans la peau d’« un jeune d’origine difficile issu d’un quartier sensible d’éducation prioritaire en zone de non-droit donc un Arabe ou un Noir », à qui la société ne laisse pas d’alternative : « soit il est une star soit il est rien ».

Le texte, écrit à la première personne, porte la parole de ce « jeune d’origine difficile », rebeu de banlieue, qui mêle verlan, arabe, néologismes du cru, fautes d’expression, impertinence, provocation et un brin de paranoïa. Y.B. parvient à maîtriser sans aucun relâchement ou facilité ce langage parlé, fluide de bout en bout malgré les (souvent excellentes) acrobaties et les coups de force imposés à notre fière syntaxe nationale qui n’en peut mais. Nous sommes bien loin des contorsions et des défauts de fabrique de l’indigeste Youcef M.B. Mieux, Y.B. ne se dissimule pas derrière un pseudo pour tromper son lecteur avec une marchandise frelatée. Tout le monde sait que cet auteur n’est pas un beur de banlieue. En tant qu’écrivain, pour gagner ses galons d’authenticité il ne cherche nullement à se dissimuler sous le masque d’un tartuffe.

Allah Superstar n’est pas un roman, plutôt un long sketch comique, une farce prétexte à rire de tout : du 11 septembre au show-biz en passant par l’islam ou la perception de l’immigré en France. Avec des pages souvent hilarantes, Y.B. ne dit rien moins que ce que disent depuis des années des auteurs autrement plus sérieux et des ouvrages très spécialisés en matière d’immigration ou de représentation de l’Autre. Et l’essentiel est là. Comme on disait, il y a quelques années, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Ainsi, sur l’image de l’immigration algérienne ou des Français d’origine algérienne : « (…) la France jamais elle s’intéresse à toi en tant que toi quand tu es rebeu, c’est la République des marchands de tapis comme il a dit mon père, alors dis-moi Mohamed, qu’est ce que tu as à nous vendre aujourd’hui ? De la banlieue, de la tournante, de l’islam, des armes, du shit, de la première guerre d’Algérie, de la deuxième guerre d’Algérie ? Quoi ? Comment ? Tu es juste pilote de ligne et tu cherches du travail ? Attends coco, tu te crois où là, à Al-Jazira ? » Sur les enthousiasmes culturels, voici une façon bien élégante de pointer les ambiguïtés : en Algérie « si tu veux te lancer dans le show-biz tu es obligé de monter à Paris comme Khaled ou Mami ou quoi, en plus les maisons de disques elles les kiffent grave, pareil que les usines de voitures après la deuxième guerre mondiale elles kiffaient grave les Algériens qui voulaient tenter une carrière automobile en France ». Idem en matière de comique ou comment faire la différence, selon YB, entre Smaïn d’une part, Dieudonné ou Jamel Debbouse d’autre part : « Il y a deux genres de comique ethnique, celui où tu fais rire avec toi et celui où tu fais rire de toi ».

Quant à la relégation voici résumé, ni une ni deux, des sommes sociologiques : « Reconnais que l’intégration c’est un système béton : le prolo on lui parque sa mère en banlieue, on le nique sur les horaires des trains, on le cartonne sur le prix du ticket, moyennant quoi tu réfléchis à deux fois avant de venir défigurer l’intra-muros de la citadelle blanche »

Et c’est ainsi tout du long : charge contre « les journaleux en chaleur » : qui arrivent à trouver à Evry « des intermittents du djihad » tandis que « les CDI eux ils parlent pas avec les journalistes ils les égorgent, comme en Algérie mon beau pays ». Charge contre la télévision et ses « Highlander » que sont Drucker ou PPDA, « toi tu te le mets à dos, lui il te tranche la tête », le show-biz (Ardisson et autres Delarue) où « le niveau des mecs il est aussi grossier qu’au boulot, au bistrot, dans le métro ou dans le ghetto, sauf que là, avec la thune qu’ils se font c’est pas grossier, c’est grave vulgaire ». Charge contre les islamistes (« l’islam c’est l’exploitation de l’homme par Dieu, l’islamisme, c’est le contraire », charge contre les Juifs, charge contre les sociétés de production…

Mais Y.B écrit « pour niquer la Matrice » comme dit Kamel, une façon de rêver un monde meilleur : « je me suis endormi en rêvant d’un jardin secret où il y avait pas de racines, rien que des branches, et pourtant ça poussait sans problème ».

 

Éd. Grasset, 2003, 264 pages, 17 euros

 

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