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Y.B.

  • L’Explication

    Y. B.

    L’Explication

    9782709619455FS.gifA la sortie de LExplication, le journaliste algérien, Y. B. avait, au moins à deux reprises, défrayé la chronique de son pays. En 1993 d’abord. Alors que Tahar Djaout lutte contre la mort sur son lit d’hôpital, Y. B. décoche l’une de ses flèches assassines contre son confrère. Mal lui en prit. Même si aujourd’hui il plaide l’incompréhension à l’égard de son papier, il devra momentanément quitter le métier. En 1997 ensuite. Chroniqueur au quotidien El Watan, il a, en août, “carte blanche” pour tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge. Il se fera vite remarquer. Ses chroniques finissent, semble-t-il, par exaspérer en haut lieu. Le papier en date du 29 octobre ne passera pas. Après une convocation à la DRS (la Direction du Renseignement et de la Sécurité, l’ex-Sécurité militaire), le 5 novembre, il est appréhendé dans le plus grand secret par trois hommes en civil. Pendant trois jours, le pays sera sans nouvelles de lui. Il réapparaît le 8 novembre dans les locaux de la police. Le 3 décembre 1997, il s’envole pour Paris. Y. B. ambitionne d’expliquer ce qui lui est arrivé et, surtout, de révéler comment et par qui le président Mohamed Boudiaf a été assassiné.
    Côté roman, car tel se présente L’Explication, il dénoue les fils d’une intrigue historico-mystique, mettant en scène la vérité, sa vérité, qui n’est pas moins crédible qu’une autre. Mais, dans le contexte dramatique algérien, marqué entre autres par l’opacité et la manipulation, l’intrigue, pourtant passionnante et savante, laisse un malaise certain : pourquoi ce détour romanesque dans un livre qui, pour l’essentiel, est un reportage dans les arcanes du pouvoir algérien ? Sans doute est-ce là la liberté – et le droit le plus absolu – de l’écrivain. Mais que cache ce malin plaisir à brouiller les pistes : une protection de journaliste ? Une provocation ? Voire, comme tout est envisageable en Algérie, une manipulation des services ?
    L’intrigue romanesque plonge ses racines dans l’islam. Très exactement en 1090, année qui marque la création de l’ordre des Hashâshine, connu sous le nom de secte des Assassins, qui inventa le terrorisme et l’assassinat de personnalités comme stratégie politique. Cet ordre, selon Y. B., perdurerait encore aujourd’hui en Algérie. Très exactement à Bouteldja, à 50 kilomètres d’Annaba. Une famille présiderait à son destin : les Ben Djedid. Un homme en serait l’imam : Chadli Benjedid soi-même. La secte, transformée entre temps en une zaouïa, aurait un objectif : restaurer le califat des Assassins sur le Maghreb. Y. B. se met aussi en scène : il reste le seul en Algérie, après l’assassinat d’un ami et d’un religieux, à connaître l’existence de cette secte et à en dénoncer les agissements et les desseins : “Si je savais qui était l’Antéchrist, je savais aussi qu’il ne tenait qu’à moi d’être le Messie. Que la bête se manifeste, je l’attendais”. Voilà pour le côté théâtral et romanesque.

    Pour le reste, Y. B. place le lecteur au cœur de l’actualité algérienne et y va de ses “révélations” – toutes aussi invérifiables les unes que les autres mais souvent non invraisemblables –, de la mort de Boumediene aux massacres de civils en 1997-1998, en passant par les assassinats de Kasdi Merbah, Mohamed Boudiaf et autres, ou encore les agissements et manipulations du “cabinet noir, centre occulte du pouvoir réel en Algérie”, où siégeraient Chadli Bendjedid, les généraux Tewfik Médiene, Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, et Smaïn Lamari. Selon Y. B., ce sont ces trois généraux, appuyés par Smaïn Lamari, qui auraient pris la décision de “liquider” le président Boudiaf. Par ses imprudentes investigations et sa lutte contre la corruption, il aurait menacé leurs intérêts et un trésor estimé à “environ 65 milliards de dollars épargnés en douze ans”. L’auteur avance même que le président Boudiaf aurait dépêché des officiers algériens auprès de leurs homologues français à Matignon, afin d’obtenir des informations sur les comptes en banque de certaines personnalités et dignitaires algériens (on aimerait savoir si cette rencontre a effectivement eu lieu et qui étaient alors ces “interlocuteurs”).

    En 1993, Y. B. reprochait à Tahar Djaout, alors en état de coma profond, de s’être laissé tuer. Si Y. B. est aujourd’hui à Paris, en vie, c’est sans aucun doute grâce à une protection dont il a bénéficié. Sa vie, il la doit à une guerre des services, c’est cette autre révélation qu’il donne sur ses dernières semaines algériennes : condamné à mort par le clan présidentiel pour ses papiers dans El Watan, il aurait bénéficié de la protection d’un autre clan, qui lui aurait non seulement permis de ne pas être tué, mais aussi de quitter le pays lesté d’une valise de documents, qu’il prétend avoir brûlés… Il y a certes du vraisemblable là-dedans. Mais il y a aussi des interrogations (pourquoi cette fable sur l’empoisonnement de Boumediene par Chadli ?) et des commentaires qui appellent des discussions : “Il n’y a pas deux totalitarismes, politique et religieux, se découvrant des intérêts communs et la même foi en l’extermination. Ils sont un, de la même essence, pétris dans la même argile, gorgés du même sang.” Il y a enfin des zones d’ombre : comment se fait-il que le pouvoir occulte ait laissé Y. B. rédiger ses chroniques pendant plusieurs mois ? Et qu’il ne soit pratiquement jamais question du général Mohamed Lamari, pièce maîtresse et incontournable du cercle très fermé des généraux – rappelons qu’il était alors et depuis 1993 le chef d’état-major général de l’armée ? Le livre suscite peut-être davantage d’interrogations qu’il n’apporte de révélations. Mais Y. B. a certainement pris de gros risques et fait preuve à tout le moins de témérité. Car, quels que soient les doutes émis, voilà un homme qui n’hésite pas à nommément désigner et accuser certains généraux algériens, non seulement d’exercer la réalité du pouvoir – ce qui n’est pas une révélation – mais tout bonnement d’être des assassins.

    Jean-Claude Lattès, 1999, 190 pages

  • Allah Superstar

    detail_of_the_musicians.jpgY.B.

    Allah Superstar

     

    La rentrée littéraire de l’année 2003 fut incontestablement marquée par le livre de ce sulfureux journaliste algérien, venu en France en 1998 suite aux menaces qui pesaient sur lui dans son pays. Une couverture médiatique tous azimuts, une présence dans la sélection de quelques prix littéraires et même une passe d’armes (toujours bon pour la promo) avec Jack-Alain Léger dans les colonnes du quotidien Libération, voilà de quoi rendre suspect un roman aux yeux de certains. Ajoutons, il faut en convenir, une histoire pas très bien ficelée (comment en singeant un terroriste islamiste, Kamel Hassani, le fils d’un Algérien et d’une Française qui a grandi du côté d’Evry devient une star du comique) et un tir de barrage sur ce qui depuis quelques années fait l’actualité. Cette fragile structure romanesque et ce surfing médiatique peuvent laisser croire qu’Y.B. cède ici à la facilité. Sauf que l’intérêt d’Allah Superstar est ailleurs et d’abord dans son écriture. On y retrouve le ton décapant et provocateur qu’affectionne l’auteur. S’y ajoute ici sa virtuosité à se glisser dans la peau d’« un jeune d’origine difficile issu d’un quartier sensible d’éducation prioritaire en zone de non-droit donc un Arabe ou un Noir », à qui la société ne laisse pas d’alternative : « soit il est une star soit il est rien ».

    Le texte, écrit à la première personne, porte la parole de ce « jeune d’origine difficile », rebeu de banlieue, qui mêle verlan, arabe, néologismes du cru, fautes d’expression, impertinence, provocation et un brin de paranoïa. Y.B. parvient à maîtriser sans aucun relâchement ou facilité ce langage parlé, fluide de bout en bout malgré les (souvent excellentes) acrobaties et les coups de force imposés à notre fière syntaxe nationale qui n’en peut mais. Nous sommes bien loin des contorsions et des défauts de fabrique de l’indigeste Youcef M.B. Mieux, Y.B. ne se dissimule pas derrière un pseudo pour tromper son lecteur avec une marchandise frelatée. Tout le monde sait que cet auteur n’est pas un beur de banlieue. En tant qu’écrivain, pour gagner ses galons d’authenticité il ne cherche nullement à se dissimuler sous le masque d’un tartuffe.

    Allah Superstar n’est pas un roman, plutôt un long sketch comique, une farce prétexte à rire de tout : du 11 septembre au show-biz en passant par l’islam ou la perception de l’immigré en France. Avec des pages souvent hilarantes, Y.B. ne dit rien moins que ce que disent depuis des années des auteurs autrement plus sérieux et des ouvrages très spécialisés en matière d’immigration ou de représentation de l’Autre. Et l’essentiel est là. Comme on disait, il y a quelques années, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

    Ainsi, sur l’image de l’immigration algérienne ou des Français d’origine algérienne : « (…) la France jamais elle s’intéresse à toi en tant que toi quand tu es rebeu, c’est la République des marchands de tapis comme il a dit mon père, alors dis-moi Mohamed, qu’est ce que tu as à nous vendre aujourd’hui ? De la banlieue, de la tournante, de l’islam, des armes, du shit, de la première guerre d’Algérie, de la deuxième guerre d’Algérie ? Quoi ? Comment ? Tu es juste pilote de ligne et tu cherches du travail ? Attends coco, tu te crois où là, à Al-Jazira ? » Sur les enthousiasmes culturels, voici une façon bien élégante de pointer les ambiguïtés : en Algérie « si tu veux te lancer dans le show-biz tu es obligé de monter à Paris comme Khaled ou Mami ou quoi, en plus les maisons de disques elles les kiffent grave, pareil que les usines de voitures après la deuxième guerre mondiale elles kiffaient grave les Algériens qui voulaient tenter une carrière automobile en France ». Idem en matière de comique ou comment faire la différence, selon YB, entre Smaïn d’une part, Dieudonné ou Jamel Debbouse d’autre part : « Il y a deux genres de comique ethnique, celui où tu fais rire avec toi et celui où tu fais rire de toi ».

    Quant à la relégation voici résumé, ni une ni deux, des sommes sociologiques : « Reconnais que l’intégration c’est un système béton : le prolo on lui parque sa mère en banlieue, on le nique sur les horaires des trains, on le cartonne sur le prix du ticket, moyennant quoi tu réfléchis à deux fois avant de venir défigurer l’intra-muros de la citadelle blanche »

    Et c’est ainsi tout du long : charge contre « les journaleux en chaleur » : qui arrivent à trouver à Evry « des intermittents du djihad » tandis que « les CDI eux ils parlent pas avec les journalistes ils les égorgent, comme en Algérie mon beau pays ». Charge contre la télévision et ses « Highlander » que sont Drucker ou PPDA, « toi tu te le mets à dos, lui il te tranche la tête », le show-biz (Ardisson et autres Delarue) où « le niveau des mecs il est aussi grossier qu’au boulot, au bistrot, dans le métro ou dans le ghetto, sauf que là, avec la thune qu’ils se font c’est pas grossier, c’est grave vulgaire ». Charge contre les islamistes (« l’islam c’est l’exploitation de l’homme par Dieu, l’islamisme, c’est le contraire », charge contre les Juifs, charge contre les sociétés de production…

    Mais Y.B écrit « pour niquer la Matrice » comme dit Kamel, une façon de rêver un monde meilleur : « je me suis endormi en rêvant d’un jardin secret où il y avait pas de racines, rien que des branches, et pourtant ça poussait sans problème ».

     

    Éd. Grasset, 2003, 264 pages, 17 euros