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Dis-moi le paradis

Boualem Sansal

Dis-moi le paradis

Voici enfin le troisième roman de celui qui, avec sans doute Abdelkader Djemaï mais dans un genre diamétralement opposé, apparaît comme la figure de proue de cette nouvelle littérature algérienne née dans les terribles soubresauts de la décennie quatre-vingt-dix. La verve de Sansal n’a rien perdu de sa truculence, de sa puissance et surtout de sa férocité. On se demande, à voir ou à croiser l’auteur, plutôt effacé, un brin timide peut-être, placide et souriant derrière ses lunettes de premier de la classe, dans quelle poche de son veston cet homme-là cache la fiole d’acide dont il se sert pour verser quelques gouttes, avec une efficacité de chirurgien, sur les travers de la société algérienne et surtout sur les responsables du désastre. L’homme tire à boulets rouges. À l’exception de l’Explication d’YB - mais ici l’auteur, en journaliste qu’il est, mêlait roman et reportage - Boualem Sansal, plus qu’aucun autre, sans jamais manquer à ses devoirs d’écrivain et de romancier, dissèque et dénonce, se gausse et ironise, clou au pilori de sa plume intransigeante et pourtant essentiellement humaine ceux qui ont assassiné et assassinent le pays et ses hommes. On se demande jusqu’où et jusqu’à quand cela sera admis... Car enfin non seulement l’homme ne prend pas de gants mais qui plus est, exerçait il y a peu encore, le métier de fonctionnaire dans un ministère et, à la différence de nombre de ses confrères en littérature, réside toujours en Algérie. Sa charge dans Dis-moi le paradis contre ce « nabot surdimensionné du toupet » qui s’envoie « des Molotov à la gueule en en appelant à la concorde » en est l’illustration… De même, cette histoire de l’Algérie qu’il expédie, avec un brio rare, en une trentaine de pages où il épingle le « plus impitoyable dictateur que la terre ait porté » à savoir Boumediene, (que trop d’Algériens encore aujourd’hui s’échinent à exonérer préfèrent faire sauter le fusible Chadli) ou ce « régime algérien [qui] tue avant d’envisager d’autres solutions moins radicales ». « Peintres de la catastrophe et du désarroi », les écrivains algériens ne sont « pas des diseurs de bonnes aventures », aussi Sansal offre au lecteur la plus précise et la plus juste des descriptions de « ce foutu pays qui s’est laissé prendre comme une catin par des bandits de foire ».

Quelques Algériens se retrouvent au Bar des Amis tenu par Ammi Salah un héros de la révolution, qui, après un détour par Lourdes, a laissé tombé son passé de souteneur pour se racheter une vertu. Dans cette Algérie en miniature, refuge et agora de mauvais alcool et de brouillards de fumés, on refait le monde (et l’Algérie). Au centre de cette sympathique assemblée se trouve l’écrivain. Il y raconte ses déplacements en France et la triste condition de l’auteur qui après avoir fait l’essentiel se voit obliger, de salon en foire, de chambre d’hôtel en réception mondaine, de jouer les représentants de commerce. « On a beau écrire, il faut encore parler ». Triste littérature ! N’est-ce pas M.Sansal ?

Si chacun y va de son histoire et de ses commentaires, l’essentiel sera raconté par Tarik, toubib dans un hôpital de la capitale. Il a accepté de traverser le pays avec deux lointaines (et belles) connaissances de fac, aujourd’hui émigrées, qui en France qui en Suède, de retour au pays pour mettre leur mère en terre. Voyage du nord vers le sud qui mène l’équipée jusqu’à Msila aux confins du Sahara. Là, le Doc devra affronter une épidémie de choléra (tiens ! tiens !) et, pour enrayer la maladie, il se rendra vers ce qu’il croit être l’épicentre du mal, le Mcif, une région isolée où survit un groupe de population tenu à l’écart du pays depuis l’indépendance. Sans le savoir, lui et ses compagnons mettront le doigt sur un secret qui les embarquera dans « la plus étrange, la plus terrifiante, la plus triste des aventures ». Derrière cette histoire, derrière les nombreux personnages de ce roman, B. Sansal n’en finit pas de dire l’Algérie, son histoire, sa mémoire confisquée, son identité bafouée, son viol, hier par les colons, aujourd’hui par les colonels, le gris des jours et le rouge de « la démence et de la déréliction ».

Comme on aimerait dire le paradis. À Boualem Sansal. À ce pays martyr. À cet enfant des ruines adopté par le Doc, comme à cet autre enfant celui de l’arbre creux du précédent roman. Oui dire le paradis d’abord et avant tout à ces enfants algériens « pour croire en la vie »…

Ed. Gallimard, 2003, 306 pages, 17,50 euros.

 

 

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