Mohamed Berrada
Comme un été qui ne reviendra pas. Le Caire, 1955-1996
Pourquoi, dans les années cinquante, choisir d'aller suivre des études supérieures au Caire quand d'autres camarades prennent la route de Damas ? Cette question, Mohamed Berrada la pose dans ce livre où il raconte sa découverte de l'Égypte en 1956 et sa passion toujours intacte pour ce pays. Les films égyptiens, les chansons d'Abdel-Wahhâb ou la voix d'Oum Khalsoum, les livres de Taha Hussein, de Tawkif el-Hakim ou d'Ahmed Lofti el-Sayyed s'étaient tôt emparés de l'esprit de ce jeune Marocain pour orienter son choix. Avec poésie et chaleur, il fait partager son amour pour Le Caire, "la mère du monde".
Le récit mêle avec bonheur les souvenirs - ceux de l'étudiant et, plus tard, celui du professeur ou du conférencier de passage - et les anecdotes. Il brosse le portrait de rencontres marquantes avec des inconnues, comme Faouzeyya, Oum Fatheyya et Sett Zinât, ou avec un Prix Nobel nommé Naguib Mahfouz. Il est encore et toujours question de rencontres, plus fugaces cette fois, avec ces "liaisons ambiguës" entretenues avec de belles Égyptiennes. Il rapporte les débats politiques et idéologiques qui, au sein du Club des étudiants marocains, opposaient les tenants du baathisme et ceux du nationalisme. Il revient sur sa foi pour Nasser, pour la sincérité et le courage du dirigeant égyptien, une foi qui annihilait tout esprit critique. Il évoque la nationalisation du canal de Suez, la défaite de 1967, la guerre de 1974.
Cet été qui ne reviendra pas va bien au-delà de simples souvenirs. Il est émaillé de réflexions, toujours profondes, sur la mémoire, la pensée arabe, l'écriture, le choix d'écrire en arabe pour se réapproprier une identité, une "patrie" et pour pouvoir explorer les espaces portés par cette langue. Lorsqu'il aborde la littérature, Mohamed Berrada évoque le désir, les relations entre hommes et femmes, la place de la sexualité dans la littérature arabe, ou encore son travail sur l'écrivain Mohamed Mandour. Il offre de nombreux développements consacrés à l'œuvre du "maître" Naguib Mahfouz. Tendre et riche, le livre est aussi rythmé par les crises d'angoisses et les fuites oniriques de l'auteur, qui n'a de cesse de rendre hommage à une ville et à ses habitants et de communiquer la fascination que Le Caire continue d'exercer sur lui.
Traduit de l'arabe (Maroc) par Richard Jacquemond Sindbad-Actes Sud, 2001, 168 p., 16,62 €