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algérie - Page 3

  • L’armoire aux secrets

    Mélina Gazsi
    L’armoire aux secrets



    france_algerie-1.jpgPar mille et une radicelles, la longue histoire de la France et de l’Algérie, s’enracine dans les consciences. Ces deux pays, chacun à sa manière, se réapproprient une mémoire cahotante, oubliée ou falsifiée. En France, des travaux de l’historien Benjamin Stora au tout début des années 90 ou le procès autour du 17 octobre 1961 (Einaudi c/Papon), la vérité historique paraît vouloir s’affirmer chaque jour un peu plus.
    Un autre pan de cette union contrainte s’entrouvre à la connaissance : celui des amours - et désamours -, qui ont unit les hommes et les femmes de ces deux pays. Avec Elise ou la vraie vie, Michel Drach, en septembre 1970, donnait pour la première fois à l’écran, le récit de ces si particulières histoires d’amour. 20 ans plus tard, en 1989, Tassadit Imache dans Une fille sans histoire dresse le portrait de Lil, la fille d’Huguette et d’Ali. Daniel Prévost confiait il y a peu ses affres psychologiques à s’extraire du silence et des tortures maternelles pour aller à la rencontre de cette autre partie de lui même : un père algérien.
    De l’autre côté de la Méditerranée, avec Les Amants désunis, le récit des amours contrariées par l’Histoire d’une Suissesse et d’un Algérien, Anouar Benmaleck offrait en 1998, une nouvelle version de ces amours des deux rives inaugurées, en 1953 (!) par La Terre et le sang de l’inestimable Mouloud Feraoun.
    L’histoire remonte à la surface. Avec L’armoire aux secrets, Mélina Gazsi ajoutait une nouvelle page à ce chapitre des relations franco-algériennes qui est loin d’être écrit.
    Fille d’une mère bretonne et d’un père algérien, Mélina ignore tout de ce dernier. Un secret plane sur les circonstances de son départ forcé ou de son abandon programmé. Tout cela remonte à cette période confuse et difficile de la guerre d’Algérie. Jamais Mélina ne saura vraiment. Face au silence maternel elle laissera son imaginaire donner un sens au non-dit, au mystère : elle s’invente un père héros de la guerre d’indépendance, maquisard en Algérie.
    Mélina va vivre avec cette absence et se construire, en apparence du moins, de manière complètement détachée, désengagée de son origine algérienne. En apparence seulement, car et c’est l’extraordinaire de ce récit, cette origine semble, de manière souterraine, déterminer l’essentiel de l’existence de Mélina : relations, mode de vie, activité professionnelle et même cette rencontre avec Chérifa - hasard ou nécessité? - qui sera celle qui lui permettra de retrouver, de manière imprévue, involontaire, sans motivation apparente, en 1992, son père resté en Algérie. Ces retrouvailles, orchestrées par le père avec emphase à l’aéroport d’Alger, déboucheront sur bien des interrogations et une certitude : un fossé culturel sépare le père de son enfant. Les incompréhensions ne portent pas seulement sur l’histoire familiale, mais concernent aussi les comportements présents. Si le père algérien a légué un héritage à ses enfants français, il ne leurs a pas laissé de testament. A chacun échoira la lourde tâche de se construire avec, contre ou à côté de cet héritage complexe et diffus. A Alger, Mélina et son père tenteront de rattraper le temps perdu, ils se livreront l’un à l’autre. Trop vite peut-être pour pouvoir s’apprivoiser l’un l’autre.

    Ainsi, par un mouvement lent, continu et significatif –, mais, a posteriori, ne fait t-on pas dire aux faits plus que ce qu’ils ont signifié réellement? – les origines algériennes de Mélina, ses origines oubliées, refoulées qu’elle a même tenté de cacher, ont rattrapé la jeune femme. “Le hasard, encore le hasard. Et l’Histoire qui danse avec la mienne, écrit Mélina Gazsi, si petite que parfois, j’en ai honte”.
    L’Histoire des passions franco-algériennes a produit des milliers de ces histoires, plus ou moins lumineuses, plus ou moins sombres. Le hasard n’y tient pas une si grande place. Seulement ces existences portent en elles et avec elles un champs des possibles bien plus grand, le nombre des bifurcations potentielles y est plus élevés. Pour peu que l’Histoire écoute la mémoire de ces milliers d’histoires, s’en nourrisse alors, l’une de ces bifurcations s’appellera amitiés franco algériennes.

    Edition de l’Aube, 1999

  • L'étoile d'Alger & Les Oranges

    Aziz Chouaki
    L'étoile d'Alger
    Les Oranges


    arton10868-38075.jpgAziz Chouaki publiait en 1998, coup sur coup, deux romans au style très différent l'un de l'autre mais qui accordent, tous deux, la même priorité aux gens, au quotidien, à la vie du "petit peuple" comme dit l'auteur. Point de politique dans ces écrits même si la politique est envahissante et qu'en Algérie elle a tendance à déshumaniser le pays tout entier...
    Aziz Chouaki est né en 1951 à Alger. Installé en France depuis 1991, il a déjà publié en Algérie Argo un recueil de poésies et de nouvelles et, en 1989, Baya un roman sorti chez Laphonic et adapté au théâtre des Amandiers à Nanterre en 1991. Aziz Chouaki est musicien et cela peut éclairer la structure romanesque en contrepoint et le style rythmé, vif, syncopé de l'Etoile d'Alger. La réussite de ce roman réside aussi et peut-être surtout dans le style. Au-delà de la comparaison musicale, il semble coller à l'Algérie. Nerveux, saccadé, crépitant même, le style est fuyant comme peut l'être parfois le quotidien algérien engagé dans une course poursuite contre une réalité étouffante.
    L'étoile d'Alger est l'histoire des rêves et des ambitions démesurés de Moussa Massy (pour Massinissa) qui veut devenir un nouveau Michael Jackson (celui du succès s’entend). A travers les pérégrinations, l'ascension et la chute de Massy, Aziz Chouaki brosse le tableau, éclatant de vérité, palpable, de la société algérienne du début des années 1990. Notre étoile montante partage avec les treize autres membres de sa famille un trois pièces dans une cité engluée dans l'envahissante et racoleuse mélasse islamiste. Cette présence l'indispose bien mais, tout à ses ambitions professionnelles, à son platonique amour pour Fatiha et à son amitié pour Rachid, Massy avance. Droit. Au dessus de la mêlée. Imperméable au bruit et à la fureur chaque jour plus tonitruant. Tandis que le pays sombre, Massy s'élève. Intelligent et doué de subtile capacité d'adaptation, Massy a du talent. Autant d'atouts qui se révéleront indispensables à cette brindille d'humanité pour entamer une ascension professionnelle qui le mènera au Triangle, la plus importante boite de nuit d'Alger fréquentée uniquement par la tchi-tchi algéroise... Mais, après le crescendo de la réussite, Massy va descendre une pente qui le mènera aux portes de l'enfer. Plus de contrepoint alors. Massy change, il est en harmonie avec une société qui cultive le totalitarisme de l'Un, de l'unique et qui nie à l'individu le droit même de rêver. Pourtant, à travers le rêve apparemment démesuré de Massy, Aziz Chouaki rappelle justement que ce sont les rêves, et les plus fous ne sont pas les moins indispensables, qui permettent à tout à chacun de rester debout et peut-être de réintroduire un peu d'humanité dans un monde où la démence gagne chaque jour sur la sagesse.

    Les Oranges, le second livre publié cette année là prend les allures d'un conte où Aziz Chouaki dresse l'histoire de l'Algérie depuis la première balle tirée par l'envahisseur français en juillet 1830. Cette balle s'est logée dans une orange. Un enfant de sept ans est là. Dans les décombres du massacre, il extrait la balle de l'orange qui, avant de rendre l'âme demande au gamin de lui faire le serment suivant : "je jure d'enterrer à jamais cette balle le jours où tous les gens de cette terre d'Algérie s'aimeront comme s'aiment les oranges". Est ce que depuis 1830 le gamin a pu enterrer cette balle?  Le roman a connu un large et populaire succès grâce surtout à son adaptation au théâtre.

    Editions Marsa, 1998. Réédité en poche au Point Seuil en 2004
    Editions des Milles et une nuits, 1998



  • Les Cinq et une nuits de Shahrazède

    Mourad Djebel

    Les Cinq et une nuits de Shahrazède

     

    djebel.jpg« Nous sommes issus de tant de brassages, de métissages, certes dans la violence et l’invasion, mais ils sont réels et constituent un rempart contre l’hégémonisme, contre le fanatisme, et un chemin à creuser pour peu qu’on cultive cette diversité pour asseoir un autre type, un nouveau type de légitimité de l’État. Si l’on n’infléchit pas la tendance de l’Unique, nous courons à la catastrophe (…) ». Ainsi, tandis que le pouvoir algérien interdisait à son peuple le droit de lire le dernier Boualem Sansal (Poste restante paru chez Gallimard) et que son vieux dirigeant renouait avec les non moins vieux démons d’une conception figée et exclusive de l’identité algérienne, les romanciers du cru continuent eux, contre vents et marées, de disséquer la « monstruosité nés des humiliations et des défaites de l’Histoire », une « monstruosité » qui aujourd’hui « se nourrit des modernes frustrations ». Mourad Djebel appartient à cette génération-lotus d’écrivains algériens, sortie du bourbier des années 90. On lui doit déjà Sens interdits, paru en 2001 chez le même éditeur. L’Algérie demeure au cœur de son texte, une Algérie kaléidoscopique, débarrassée des pesanteurs spatiales et temporelles, une Algérie à plusieurs voix, déployée en plusieurs registres et langues. Plus encore que ses aînés, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra ou le premier Boualem Sansal, celui du Serment des barbares, Mourad Djebel bouscule le cadre narratif pour rendre au plus près cette Algérie entre diversité et cauchemars…

    Au centre du roman il y a le cycle des cinq nuits, ces cinq nuits durant lesquelles Loundja alias Shahrazède tente de dévier de sa « trajectoire autodestructrice » son ancien élève et ami, Shahriyar. Comme dans Les 1001 et une nuits, le conte, la littérature - ici le récit fondateur du Voyageur et de la Sahélienne - pourrait-elle être une arme de combat pour échapper « à la folie d’une réalité cauchemardesque », une arme contre la mort ?

    Au cours de ces cinq nuits, le passé, les espoirs et les désillusions des deux amants défilent sur fond d’histoire algérienne, depuis les promesses trahies d’un « avenir radieux » en juillet 1962 jusqu’à « cette folie de sang qui se pare, comme une putain fardée, de principes humains ou divins » en passant par les massacres et tortures d’octobre 1988. Ces journées charnières où l’armée a tiré sur « une foule d’enfants » : « des enfants en garderont des séquelles à vie, des enfants qui ont été violés, sodomisés, papa, la baignoire, les coups, les brûlures, les blessures, tu connais le catalogue, papa, c’est le même que celui des paras de l’armée française » dit, peccamineuse, Loundja à son père, ancien héros de la lutte pour l’indépendance du pays.

    Mais cette « monstruosité » qui ronge le pays n’est pas une fatalité. Loundja-Shahrazède « dit qu’elle en a marre du couplet qui court sur toutes les lèvres stipulant que cette terre est trop passionnée et tout ce qui s’y entreprend trop passionnel, « D’où l’attrait pour la tragédie, les harangueurs de foules, la lutte entre les dieux, l’apostasie, l’invasion, la guerre (…) ».

    Deux autres voix se font entendre. Celle d’abord de Shahriyar à travers ses Carnets, des écrits hallucinés, parfois hermétiques, qui donnent à lire le regard de l’ami et de l’amant sur ces cinq nuits passées dans un hôtel de la corniche constantinoise.

    Il y a enfin cette narratrice dont l’identité ne sera révélée qu’à la fin du roman et qui s’inscrit dans une longue chaîne de conteuses. Elle est celle qui, sans avoir retrouvé le manuscrit-fondateur du Voyageur, restitue l’ensemble de l’histoire, l’origine et la naissance d’« une branche nouvelle de sang mêlé », sur laquelle elle compte bien, elle aussi, inscrire sa marque.

    Le livre brille d’un foisonnement de thèmes, de fulgurances littéraires, d’émotions et de références historiques : l’histoire algérienne qui, à partir d’une « matrice mère amazigh », est l’histoire des métissages nés des invasions diverses ; l’histoire de la pénétration militaire française, des fantasmes et de l’érotisation de l’Orient mais aussi la place de l’individu au sein de la société algérienne ; l’autonomie de la femme ; les questions de l’homosexualité, de la sexualité ou du racisme anti-noir.

    La clef de cette construction littéraire bigarrée, un brin complexe, se niche peut-être dans une quête de l’universel, un éloge de la diversité et du métissage même si sa naissance sur la terre algérienne a été traumatisante : « Même si elle est violente, cette origine pour le pire, elle n’en demeure pas moins métisse pour le meilleur », de sorte que Mourad Djebel invite à se détourner de cette « tendance de l’Unique » pour retrouver un chemin emprunté déjà par un Ibn Arabi, un chemin qui mène à « croire que l’homme est autant que le langage, médiation des mondes, médiations de tous les mondes, porteurs d’essences premières communes à tous les êtres (…) »

     

    Edition  La Différence, 2005, 364 pages, 23 €

     

     

     

  • Sens Interdits

    Mourad Djebel

    Sens Interdits

     

    panneaux-insolites-verchaix-france-1333102297-1093868.jpgChez Mourad Djebel, « le temps (et même l’espace géographique), (...) ne se retrouve plus dans des repères linéaires (...), ne construit plus mais déconstruit et s’empêtre dans une inconsistance et une inconstance où les objets et les êtres affluent et refluent sans cheminement précis (...) ». Voilà le plus caractéristique de ce roman dont l’originalité est tout entière contenue dans l’écriture et dans la mise en scène d’un récit centré sur la disparition de Yasmina. Autour d’une scène cruciale, récurrente, se tissent les fils d’une histoire livrée par bouffées, en épisodes brusques et parfois inattendus. L’histoire de Maroued et de Yasmina mais aussi celle de trois adolescents, Larbi, Nabile et le même Maroued, liées par un pacte tacite scellé en octobre 1986 dans les odeurs des lacrymogènes et le sifflement des balles des militaires dépêchés pour réprimer des manifestations à Constantine. C’est sur un pont de cette ville, que les trois camarades marcheront « dans les deux sens en faisant des allers-retours ininterrompus pendant plusieurs heures, jouant aux sentinelles ou nous livrant en prisonniers au pont, aux deux abstractions du code de la route (le Sens interdit et le Stop)... ».

    Dans ce premier roman, l’auteur mettait toutes les palettes du langage au service d’une « boulimie des mots, des analogies et des fils enchevêtrés de l’histoire » mais aussi d’une remarquable et parfois déroutante « ivresse verbeuse ». Elle était néanmoins et déjà une marque de fabrique certaine, riche de nombreuses originalités stylistiques, poétiques autant que romanesques.

     


    Edition La Différence, 2001, 332 pages, 20,58€