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Antillais d’ici, « Les Métro-caraïbéens »

 

Samia Messaoudi et Mehdi Lallaoui (textes et photos)

Antillais d’ici, « Les Métro-caraïbéens »

 

AVT_Samia-Messaoudi_2465.jpegNos deux auteurs se sont, pendant plus d’un an, immergés dans l’univers antillais francilien : chatoiement des madras, velouté et volupté des danses caraïbéennes, force et parfum du ti punch, acras appétissants et roboratif boudin, rendez-vous festifs mais aussi mémoriels et enfin des dizaines de rencontres qui font sans doute le sel de cette initiative. Cela donne un livre-album à la tonalité « amicale », presque « familiale » : les photos sont pour la plupart des portraits, accompagnés de quelques scènes collectives : fêtes, manifestations publiques ou solennelles commémorations. Le tout offre autant de rendez-vous riches en émotion et convivialité. Les dix-huit témoignages, écrit à la première personne, ajoutent au sentiment d’intimité. Ces hommes et ces femmes sont responsables associatifs, élus locaux ou national (Christiane Taubira), artiste-peintre, travailleur social, enseignant, salariés de la Ratp, de La Poste ou retraités. En quelques pages, ils racontent leur arrivée « en France », livrent un peu d’eux-mêmes et de leurs préoccupations, tracent le trait d’une trajectoire existentielle qui a connu des hauts et des bas.

 

arton1494.jpgUne introduction donne quelques repères historiques, culturels et politiques ainsi qu’un éclairage littéraire fournit par deux textes du chantre de la « Négritude », Aimé Césaire. On aurait aimé qu’une petite place soit faite à des auteurs plus récents et surtout à cet autre sommet de la littérature et de la pensée, Edouard Glissant, dont l’œuvre demeure indispensable.

L’histoire de l’immigration antillaise en métropole ressemble à toutes les histoires d’immigrés, qu’ils débarquent de Bretagne, d’Alger ou de Lisbonne : exil et premières déceptions, mythe du retour qui débouche sur les allers-retours des retraités ou, pour les plus jeunes, les congés annuels, transmission culturelle, intégration et implication citoyenne. Le racisme aussi ; omniprésent dans les témoignages : « j’ai encore le souvenir aujourd’hui, d’un jour où en sortant du métro, un homme m’a bousculée et m’a dit : « sale noire, va te faire blanchir », je n’ai rien dit sur le moment, mais encore aujourd’hui, c’est dans ma mémoire » confie Nita Alphonso.

Si beaucoup d’Antillais travaillent « en France », dans l’administration, occupant souvent des emplois subalternes, c’est parce que, dans les années 60, la métropole est allée les chercher, et sans ménagement parfois comme ces 1 600 enfants réunionnais arrachés entre 1963 et 1982 à leur île et à leur famille (1).

La spécificité de cette migration tient au fait que ces Antillais sont français. Ils portent avec eux à la fois l’histoire de France - la France esclavagiste - et une culture de France, - celle, créole, des îles. Sous l’amertume et les désillusions palpables dans bien des témoignages, couve la question centrale de l’identité. Pour Mathilde Favel, arrivée en 1983 à l’âge de huit ans « en France », « nous avons tous un sentiment de ne pas être à notre place ici. » La France ! Il ne s’agit pas de nostalgie ou du « mal du pays ». Il ne s’agit même pas d’intégration (qui oserait remettre en question l’intégration de ces citoyens « entièrement à part » quand ils peuvent se le permettre, noyant le poisson dans l’eau, pour d’autres groupes, immigrés ou français issus des migrations ?). Non, le mal est plus profond. Les révisions et les introspections plus déchirantes pour l’ensemble de la communauté nationale. La France n’ose pas se regarder dans la glace, voire ce qu’elle est vraiment aujourd’hui, reconnaître les siens et se reconnaître à travers eux. A travers tous. La France, vieille terre aristocratique, devenue grande bourgeoise au détour d’un 14 juillet, semble toujours jalouse de ses inégalités : culturelle, sociale, économique ou  politique. Elle s’éloigne se faisant d’une autre France, celle du triptyque républicain.

Il n’y a qu’à voir les gesticulations verbales pour nommer ces hommes et ces femmes venues d’un territoire national situé à quelque 8 000 kilomètres : Antillais, Afro-caraïbéens, Négro-politains, Français d’outre-mer, ultra-marins, originaires des Antilles ou encore, c’est le choix des auteurs : « Français des Antilles » ou « Métro-caraïbéens ».

Et  si une fois pour toute on se décidait à les appeler Français ? Français d’une France enfin riche de sa diversité régionale, pleinement européenne, forte des apports culturels et historiques nés de la marche des hommes et de la mondialisation. Que faire ? Commémorer l’abolition de l’esclavage chaque 10 mai, sans doute. Et, comme à l’entre soi indifférent au devenir de tous, nos deux auteurs préfèrent l’entre nous dans le respect de chacun, il faut alors enseigner l’histoire aux chères têtes blondes et brunes, et surtout leur donner le goût de ces penseurs et de ces écrivains qui disent le monde tel qu’il est, ses transformations et ses possibles devenir : Edouard Glissant encore. Et lire ce livre ! écrit comme une grande gifle assenée à la belle Marianne ; pour qu’elle se réveille.

(1) Lire Eugène Durif, Laisse les hommes pleurer, éd. Actes Sud, 2008

 

Au nom de la mémoire, 2009, 138 pages, 25 €

 

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