Salim Bachi
Le Chien d’Ulysse
Salim Bachi vit en France depuis 1997. Il signait là son premier roman. Un texte sombre, désespéré même. Il y déverse, tel un trop plein, une prose abondante et débordante. L’imaginaire, le symbolisme et le réalisme le plus cru s’entrechoquent, le passé bouscule le présent, la quête de sens bute sur le déracinement et l’oubli, les tranches de vie se mêlent, s’emberlificotent dans les ruelles de Cyrtha, « ville-cancer » de ce « pays cannibale ».
Comme d’autres écrivains algériens (Boualem Sansal, Amin Zaoui...), l’auteur a choisi - mais est-ce un choix ? - de « balancer » son texte entre plusieurs genres et de briser la ligne du temps. L’exercice permet sans doute de traduire la confusion algérienne - et de s’inscrire dans l’héritage d’un Kateb Yacine par exemple -, mais peut aussi parfois donner le tournis au lecteur...
22 juin 1996, quatre ans jour pour jour après l’assassinat du président Boudiaf, nous partageons une journée de la vie d’Hocine. Dans la soirée, l’étudiant a rendez-vous avec le commandant Smard en quête de nouvelles recrues. Acceptera-t-il de devenir une taupe contre l’argent et l’offre alléchante du cynique officier? Au soir de ce 22 juin, Hocine avouera : « je ne suis plus l’enfant que je prétendais être tout à l’heure. Je ne suis plus rien de ce que j’ai été ce matin. Une éternité a passé. Et plus, peut-être ». Entre son réveil dans l’appartement familial « pléthorique » et son retour à la nuit tombée, Hocine vivra des heures déterminantes.
Sa journée se passe avec son ami Mourad, son double et son contraire. Mourad le poète est amoureux d’Amel, l’épouse d’Ali Khan, leur professeur de littérature. Hocine, lui, n’entretient avec les femmes qu’un commerce charnel, utilitaire. Un assouvissement.
Ensemble, entre vérités et mensonges, rêves et réalités, ils embarquent pour une journée particulière. Elle commence chez Ali Khan avec la présence de son ami, le journaliste Hamid Kaïm qui, depuis les lointaines années de révoltes étudiantes et son amour pour Samira traîne le poids terrible d’une ancienne culpabilité. Elle passe par la mort du pauvre clochard descendu parce qu’il ne cessait de brailler « à Ithaque ! à Ithaque! » ce que la police algérienne, qui n’a pas forcément lu Homère ou qui est tout simplement dur de la feuille traduit par « à l’attaque ! à l’attaque ! ». Elle se termine avec Seyf et sa terrible confession. Seyf est un membre des forces de sécurité. Le tortionnaire est devenu une froide mécanique, surnommé « le bourreau de Cyrtha ». La scène de l’hôpital où Seyf s’explique avec Hocine et ses copains étudiants est une des plus fortes du livre.
« Tout ça me dépassait. Les uns égorgeaient, les autres torturaient et assassinaient. Les uns avaient tort, les autres avaient raison. J’aurais voulu ne jamais tomber entre leurs mains, aux uns comme aux autres » dit Hocine avant de se rendre à son rendez-vous nocturne. Hocine ne sortira pas indemne de cette odyssée dans les dédales de Cyrtha et de ces existences broyées. Au moins sait-il maintenant quelle attitude adoptée face à Smard. Mais il ignore encore comment cette journée se terminera.
Edition Gallimard, 258 pages, 14,94 €