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Les républicains espagnols dans le Camp de concentration nazi de Mauthausen.

Pierre et Marie Salou Olivares
Les républicains espagnols dans le Camp de concentration nazi de Mauthausen. Le devoir collectif de survivre


28-1433a_Mauthausen.gifQuelques jours seulement après la parution de ce livre, le quotidien espagnol El Mundo du 30 octobre 2005 rapportait que le criminel de guerre nazi, Aribert Heim, recherché par les polices allemande et autrichienne, se cacherait en Espagne depuis 1985. La piste sera vite abandonnée au profit d’une piste chilienne puis égyptienne. Cet ancien médecin est surnommé « le petit Mengele » pour avoir torturé et pratiqué des injections de poisons sur des centaines de victimes entre le 8 octobre et le 29 novembre 1941 à Mauthausen. Terrible ironie de l’histoire, c’est dans ce camp que 7297 Espagnols ont été déportés. 4761 n’en sont pas revenus. Combien parmi ces victimes sont passées entre les mains du bourreau Heim ?
Pierre et Marie Salou Olivares ont consacré des années de travail à ces « Espagnols anti-fascistes » de Mauthausen en colligeant les témoignages des survivants publiés entre le début des années 60 et la première moitié des années 90 dans Hispania le journal de la FEDIP, la Fédération Espagnole des Déportés et Internés Politiques.
« Je suis fille d’un militant actif au sein de la FEDIP, écrit Marie Salou Olivares, et toute mon enfance, j’ai entendu parler du « livre » de la FEDIP sur le Camp de Mauthausen. Mais toujours les urgences de la vie l’ont remisé à plus tard (…) ». C’est donc elle, aidée de son fils, qui, bien plus tard, réalise ce livre « pour que cette terrible expérience ne soit pas engloutie avec le dernier témoin » et pour « transmettre aux générations futures, conformément aux souhaits de tous ces humains meurtris, les pénibles épreuves qu’ils ont affrontées. Leur espoir étant que cela ne se reproduise jamais ! ». Cette volonté de « témoigner » sourd des mille pages de ce livre et des quelque quatre-vingts textes écrits en espagnol et suivis de leur traduction en français. Témoigner comme un hommage collectif rendu à ceux qui n’en sont pas revenus. Témoigner pour que l’histoire ne soit pas falsifiée ni oubliée. Témoigner, pour rester vigilant, pour ne pas voir « diminuer la détermination du monde à combattre » la toujours menaçante « bête immonde » dont parle Brecht. Témoigner enfin comme un acte de résistance, pour dire cette âme de résistance chevillée au corps des Républicains espagnols, éternels combattants de la liberté. Combattants oubliés d’une liberté remisée au clou de l’Histoire.

Aux origines de la déportation

L’histoire des Républicains espagnols fait aussi partie de notre histoire. Pas seulement parce qu’après la « retirada », au cours de cet « exode tragique », ils furent accueillis en « exilés maudits » dans les camps de regroupements (à Argelès sur Mer, Saint Cyprien, Vernet d’Ariège, Bram, Sepfonds, Gurs,…), mais aussi parce que leur arrivée en France a été pour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, l’antichambre de la déportation dans les camps nazis de concentration ou d’extermination, l’antichambre de la mort. Pour ces exilés, la seconde guerre mondiale n’a pas commencé en 1939, mais le 18 juillet 1936 avec la guerre d’Espagne. Les républicains espagnols n’ont cessé de le répéter : ils ont été aux avants postes de la lutte contre le « fascisme international ». Face à Franco, à Mussolini et Hitler, les « soi-disant démocraties » ont démissionné dans ce qui sur le sol ibérique n’aura été qu’une « répétition ». Pire, pourquoi déporter les Espagnols en Allemagne demande Lazaro Nates ? L’ex-détenu, matricule 3832, parle d’une « complicité » pour se débarrasser des « indésirables », des « rouges espagnols », « complicité entre les xénophobes français de cette époque, les autorités espagnoles franquistes et ceux qui devaient exécuter cette triple complicité : les Allemands ».


Les « triangles bleus » des « apatrides »

Mauthausen a été un camp où 118 000 déportés sur les 198 000 qui y ont été internés entre le 8 août 1938 et le 5 mai 1945 (1), ont été exterminés. « 80 mois consacrés à la mort » comme l’écrit un ancien häftlingen (détenu) dans ce que les rescapés appellent « la machine de destruction », « l’abattoir », « l’enfer » ou « le bagne dantesque ». 1475 morts par mois, 53 morts par jour et ce pendant près de sept ans ! Cette macabre et incertaine comptabilité est peut-être nécessaire pour donner une vague idée de l’horreur.
À leur arrivée, les déportés savaient vite ce qui les attendait : « Vous êtes entrés par cette grande porte et vous ne sortirez que par cette cheminée », assenait, en montrant la fumée qui s’échappait des fours crématoires, le commandant Franz Ziereis ou l’interprète allemand du camp surnommé « Enriquito » ou « Manolita » par les détenus espagnols.
escaliers-Mauthausen.jpgMauthausen était un camp d’extermination par le travail. « La célèbre carrière nommée : Wienergraben », carrière de granit, se trouvait en contrebas du camp. Un escalier de 186 marches, « le tragique escalier sur lequel périrent tant d’hommes » y donnait accès.
Déportés en convoi depuis le 6 août 1940 jusqu’à la fin de l’année 1943, les Espagnols ont été les premiers en France à être expédiés dans les camps de la mort, à y être broyés par le monde concentrationnaire nazi. À Mauthausen, un triangle bleu avec la lettre « S » (pour « Spanier », Espagnol) les distinguait des autres détenus.
Pour tuer, les bourreaux n’ont jamais manqué d’imagination : froid, manultrition, épuisement, vermines, tortures, sauvageries, humiliations, sadismes, bastonnades, morsures de chiens, pendaison, expériences médicales, chambres à gaz, crémation... La mort était partout et frappait à chaque instant, le sadisme était sans limites. « Personne, à part ceux qui l’ont vécu, ne peut imaginer jusqu’à quel point le fanatisme amène à des actes extrêmes. Personne ne peut imaginer que la férocité puisse atteindre de telles proportions ». Pourtant, il faut lire les témoignages, tous les témoignages pour, peut-être et seulement, se rappeler de quoi justement les hommes sont capables. « Pour eux, [les SS] il ne s’agissait pas de tuer des êtres humains mais d’exterminer des animaux nuisibles ». « Prolonger l’agonie de ces martyrs était leur amusement, leur jouissance. Nous nous demandions comment ces hommes, appartenant à un des pays les plus civilisés, comme c’est le cas de l’Allemagne, pouvaient-ils commettre quotidiennement tant de crimes et parvenir à la fin de leur journée à rentrer dans leur foyer pour se comporter en amants, époux ou pères affectueux avec leurs enfants ».


Fidélité

Il faut témoigner aussi et surtout pour celles et ceux qui n’en sont pas revenus : « nous leur devons de défendre la mémoire de leur sacrifice, afin qu’ils ne meurent pas assassiner une autre fois » écrit en 1980 un rescapé (matricule 5080). Défendre la mémoire des victimes est un devoir qui va bien au-delà du cercle des rescapés : « si nous cessions d'y penser, nous achèverions de les exterminer et ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité", disait le philosophe Vladimir Jankélévitch.
Ces hommages et ces témoignages de « fidélité » aux victimes sont écrits avec une étonnante sobriété et une remarquable pudeur. Les horreurs subies sont relatées avec dignité, de cette dignité qui fait les combattants : toujours rester debout et faire face. La lutte ne cesse jamais disent ces rescapés. Elle n’a jamais cessé : en Espagne d’abord. En s’engageant contre l’Allemagne nazie ensuite. Puis dans les camps et, au lendemain de la guerre, en exil, contre le régime franquiste et contre les tentatives révisionnistes et le réveil de la barbarie. Résistance et liberté sont les deux mots qui reviennent le plus souvent sous la plume de ces hommes devenus passeurs de mémoire mais surtout testateurs d’un bien inestimable.

 


Résister

La résistance à l’intérieur du camp prend des formes multiples. Individuelle ou collective, elle frôle toujours la mort. José Marfil Escaboue, matricule 3394, est à l’origine du premier acte de résistance des Espagnols de Mauthausen. À sa mort, les Espagnols osent demander et obtiennent la permission d’observer une minute de silence en hommage à leur camarade, première victime d’une longue série.
Où trouver « le salut » demande Antonio Velasco ? « En nous préoccupant d’éliminer le négatif pour favoriser le positif. Cette attitude nous permit d’être un petit pourcentage à sortir vivants de Mauthausen. La principale cause fut la chance pour les uns d’être dispensés de dures punitions et pour les autres de recevoir plus de nourriture que la ration prévue. Il n’y a pas de mystère. Mais la mort nous entourait avec insistance (…), il suffisait d’un caprice plus ou moins imbécile des SS ou de la haine d’un quelconque kapo (…) ». Et pour Juan de Portado, cette certitude : « dans une tragédie, il reste toujours quelqu’un pour raconter ce qui s’est passé, nous ne pouvions échapper à cette règle, cette pensée nous réchauffait un peu ».
Pour survivre, il faut se battre quotidiennement, tenter d’améliorer la misérable pitance servie par les SS, éviter les travaux pénibles, en cherchant, comme Pedro Freixa, à travailler à l’infirmerie ou à conquérir certains postes clés de l’administration du camp en luttant contre les « triangles verts », les prisonniers de droits communs, pour « tant que faire se pouvait, humaniser la vie de cet enfer ». « Humaniser » cet enfer à en faire monter les larmes aux yeux de ces hommes qui ont tout vu, tout subi, en organisant, clandestinement une célébration du noël de l’année 1943...
C’est au cours d’une autre nuit, celle du 23 juillet 1941, qu’Antonio Velasco, avec trois autres compagnons, décident de s’évader. Un périple dangereux de quarante-deux jours à travers une Autriche hostile pour tenter de gagner la Suisse. Antonio Velasco sera rattrapé et réexpédié au camp. Il échappera à la mort. Plus que d’autres, si cela est seulement possible, Antonio Velasco est un « miraculé ». C’est en se suicidant que Narcisse Gali choisit, lui, la liberté : « sa mort fut comparable à sa vie écrit P.Pey Sarda. Elle fut un ultime geste de propagande antifascite ». Résister encore et toujours. Résister jusqu’aux derniers jours. Dès le mois d’octobre 1944, les Espagnols participent aux préparatifs d’une défense pour prévenir une extermination massive des détenus par des gardiens prêts à déserter devant l’avancée des troupes alliées.


Le goût de la liberté

On oublie trop souvent cette bannière déployée sur le fronton du portail pour saluer l’arrivée des troupes américaines ce « 5 del 5 del 45 » comme l’écrit Solticio en une heureuse arithmétique et une joyeuse mélopée de chiffres. Sur la toile tendue, ce 5 mai 1945 les détenus espagnols avaient écrit : « Los Españoles antifascistas saludan a las fuerzas liberadoras ». Mais, à l’instar de « cette banderole de la solidarité » oubliée, les Républicains espagnols ont aussi « la désagréable sensation d’être fréquemment les oubliés de l’histoire ». Pourtant, comme hier, quand il a fallu taire ses déceptions et ses divisions et s’engager dans l’armée française ou dans la résistance, face à « l’ennemi commun », qu’importe aujourd’hui les conflits de mémoires, qu’importe même la désillusion de voir se bâtir « un monde plus humain et plus juste », « notre mission n’est pas terminée ! » écrivait en 1981, un représentant de FEDIP, face aux menaces révisionnistes et au réveil de « l’euro fascisme ». Et les menaces ne manquent pas. Depuis le Rwanda jusqu’à la Tchétchénie en passant par l’ex-Yougoslavie, depuis un certain 21 avril 2001 jusqu’aux drames de Ceuta et Melila en passant par les dangereux amalgames fomentés par des apprentis caudillos de banlieues. Comme l’écrit Michel Reynaud dans sa préface, « en ces temps incertains et quelquefois insultants il est bon de clamer que des « étrangers » nous permirent de retrouver notre liberté. (…). L’histoire, notre histoire, leur est redevable et plus encore ». Oui, l’histoire des Républicains espagnols est bien notre histoire, encore faudrait-il ne pas l’oublier. Le dire et le répéter ne suffit pas, ne sert à rien, si cela ne se traduit pas en acte. Voilà ce que les derniers rescapés encore en vie nous lèguent. Leur dernier acte de résistance et le goût de la liberté.

Edition Tirisias, Collect. Les oubliés de l’histoire, 2005, 910 pages, 36 euros


(1) Selon les chiffres de l’Amicale des déportés de Mauthausen (site : http://www.campmauthausen.org/). Dans le livre de Pierre et Véronique Salou Olivares il est question de 25 000 survivants pour 225 000 détenus (page 126)

Commentaires

  • Bonjour à tous et à toutes celles qui perpétuent le souvenir de ces héros.
    Mes parents et ma soeur sont restés internés sur ces plages de sud de la France, si connues pour leur douceur. Je n'en dirait pas plus de leur vie de travail dans les mines de Saint Etienne jusqu'à leur mort en 1973 et 1996.
    Leur bonheur est d'avoir pu nous élevé et nous donner une éducation digne de leur espoirs.
    Je souhaite retrouver la trace de leur ami avec lequel ils ont passé la frontière à Puygcharda, Léopoldo TORTOSA, capitaine républicain qui a choisi la voie de continuer à lutter pour la liberté. La dernière missive de la croix rouge internationale reçue par mon père indiquait. Leopoldo TORTOSA GONZALEZ matricule 13908 Mort au camp de Gusen/Matahausen le 29/12/1941. Aucune autre information ne sera communiquée.
    J'ai pu ''récupéré'' la propriété d'un terrain surplombant la sierra du village ou mes Parents et Léopoldo sont originaires. Hondon de los Frailes provincia de ALICANTE- Espagne
    Aidez-moi à y déposer un bloc de marbre blanc brut, extrait de ces carrières environnantes, pour y faire graver quelques mots " Passant souvient toi de ; Bénita, Ramon, Léopoldo et tous les autres, ils étaient d'ici...
    merci de me donner des infos sur l'itinéraire tragique de Léopoldo depuis Grenade, Madrid, les camps du sud de la France, .....les camps de la mort.

  • Je fais suite à mon commentaire du 28 mai dernier, car l'ensemble des propriétaires des terrains entourant ma propriété refuse de m'accorder un accès. Mon terrain reste enclavé de tous cotés. La route goudronnée qui constitue le domaine public s’arrête à cinquantaine de mètres, je ne peut y pénétrer! En désespoir de cause, j'ai offert une somme d'argent conséquente et sans commune mesure avec la valeur réelle. Le refus est total et délibéré de la part de tous les riverains. J'ai demandé aux autorités communales de m'aider, mais elles ne donnent aucune réponse.Je vais introduire une action en justice, pouvez-vous m'aider ou me donner un conseil pour faire aboutir ma demande. Je rappelle qu'il ne s'agit en aucun cas d'une affaire lucrative, mais seulement le fait que je tiens, pour la mémoire de mon Père et de ses compagnons que ce petit jardin de pierre au confins de la commune ou ils sont nés ne leur soit pas spolié sous prétexte qu'ils étaient des républicains de la première heure qui après avoir lutté pour la liberté, ont dû finir leur vie en exil avec leurs épouses et leurs
    Merci de m'aider si vous le pouvez !
    Le fils de Ramon y Benita
    Louis CORDOBA le 30/12/2012

  • je suis fille de deportes espagnols je peut vous doner des informations

  • je suis fille de deportes tomas marco jose ne a la pobla tornesa provencia de castellon espagne

  • Bonjour,
    Je suis fille, petite fille et nièce de republicains espagnols déportés à Mauthausen. Mon Grand-père est décédé a Gusen, mon père Manuel Diaz, et mon oncle Rafael Castillo aujourd'hui décédés étaient des rescapés "Pochaker".
    J'aimerais que les célébrations du 70eme anniversaire de la liberation des camps n'oublient pas ces combattants antifascistes....

  • Hola Martine:

    Estoy trabajando en la biografia de MANUEL BOLAÑOS DIAZ, español republicano que murio en Gusen el 29-12-1941.Nacio el 15-05-1912 en Puerto Real, Cadiz. Sabes algo sobre este buen hombre que vio truncada su vida en plena juventud ¿

    Juan Piñero
    jupire@ono.com

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