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Tuez-les tous

Salim Bachi

Tuez-les tous 

 

tuez les tous.jpgIl est encore question du 11 septembre 2001 dans ce roman de Salim Bachi. L’écrivain algérien décide ici d’aborder les attentats d’une façon originale : raconter les dernières heures et dire les pensées d’un des terroristes qui allaient provoquer le carnage. Ce Seyf el Islam (l’épée de l’islam de son nom de guerre) est un personnage bien improbable. L’homme est depuis longtemps en rupture de ban avec son organisation dirigée par « ce Saoudien » à la « gueule d’apôtre efféminé », il ne partage plus la vision idéologique qui sous tend ces actions meurtrières et refuse de se considérer comme appartenant au même monde que celui de ses complices. Le personnage passera sa dernière nuit à se saouler et à se droguer en compagnie d’une américaine rencontrée dans un bar de Portland. Il déambulera dans les rues sinistres de la ville avant de partager sa chambre d’hôtel avec la jeune femme. Difficile d’imaginer tout cela. Mais enfin Salim Bachi est un intellectuel arabe, un écrivain algérien auteur, chez le même éditeur, de deux romans importants (Le Chien d’Ulysse et La Kahena) et son propos prend une valeur particulière : dénoncer intra-muros la folie meurtrière de ceux qui prétendent agir au nom de l’islam et du coran contre « l’orgueil américain ». Ce Seyf el Islam livre par bribes son histoire et ses réflexions. Comme bien des apprentis candidats au suicide meurtrier, l’homme est un exilé, un métis placé entre l’Orient et l’Occident. Une déception amoureuse vécue comme un échec d’intégration le conduira à la mosquée où les « frangins », prenant soin de son âme meurtrie, commenceront sa formation. En fait, un lavage de cerveau comme le montrait déjà le Palestinien Hussein al-Barghouti dans Lumière bleue (Actes Sud, 2004) puisqu’il doit tout oublier, famille, origine, identité et bourrer son pauvre crâne d’absurdités qui sont autant de bombes à retardement : anti-américanisme primaire, guerre contre l’Occident, antisémitisme, victimisation sous couvert d’humiliations, réclusion de la femme, fantasme des origines et délire de pureté…

À l’heure de commettre son forfait, l’homme n’est plus crédule : il sait qu’« on ne revient jamais à la pureté originelle, [qu’] elle n’a jamais existé. Et sur son corps même, le corps saint du Prophète, ils se disputaient déjà pour savoir qui prendrait sa succession. Il n’y eut jamais de pureté. » Il sait bien que ce culte psychotique des origines nie des siècles de civilisation, de pensée, de philosophie, de science et de culture. Pourtant il accomplira cet acte qui, pour lui, « nie l’existence de Dieu ». « Il allait être tué mais sans pardon sans victoire parce que même le Dieu des exilés, des pauvres et des orphelins, rejetterait sa victoire, il le savait, il ne l’ignorait pas, il était damné avant même son arrivée en Amérique. »

Comme la chute de Grenade l’andalouse et la découverte par Christophe Colomb de l’Amérique marquent « la fin d’un monde (…) et l’éclosion d’un autre », il pense, un temps, que son geste pourrait signifier « à son tour, l’entrée dans une nouvelle ère. ». Un temps seulement car Seyf el Islam ne croit plus en rien et le lecteur se demande bien pourquoi il ira malgré tout jusqu’au bout. Point d’illusions ou de justifications idéologico-religieuses pour cet homme qui n’ose pas décevoir Ziad, un de ses affidés, en lui disant, qu’après leur geste, « son Prophète lui cracherait à la figure plutôt que de s’asseoir à ses côtés ». Tant il est écrit que « celui qui a tué un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence sur la terre, est considéré comme s’il avait tué tous les hommes. »

Placé entre le Coran et l’Hamlet de Shakespeare, le récit n’est pas toujours convaincant et multiplie les répétitions, mais Salim Bachi y rappelle pourtant sans circonvolutions ni précautions de langage, quelques vérités toujours bonnes à lire et à dire à la face des religieux mortifères et autres bigots.


Ed. Gallimard, 2006, 134 pages, 12,90 €

(Paru aussi en poche chez Folio, en 2007)

 

 

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