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Le Chant des regrets éternels

Wang Anyi

Le Chant des regrets éternels

 

wang anyi 2.jpegWang Anyi brosse ici le tableau de cinquante ans de l’histoire chinoise. Ce Chant des regrets éternels rappelle Vivre (1994) du cinéaste Zhang Yimou qui voit les dernières années de la guerre civile et les premiers temps de la Chine maoïste incarnées par l’histoire d’une famille chinoise. Ici, l’existence tragique de Ts’iao est le fil conducteur du récit : Ts’iao, élue troisième Miss Shanghai en 1946, devient, presque malgré elle d’abord et en pleine guerre civile, la concubine d’un dignitaire du régime, puis dans les années cinquante, modeste infirmière dans une des nombreuses ruelles de Shanghai. Pragmatique mais dénuée parfois de lucidité, Ts’iao est une femme au charme discret mais certain, aux choix esthétiques et aux goûts sûrs. Acceptant son sort, sans désir, elle cède pourtant et passivement aux illusions d’un bonheur toujours fugace, un « bonheur présent [qui] hypothèque l’avenir ». Séduisante, Ts’iao est aussi estimable car malgré cette « existence tout entière vouée à la peine » et « au malheur », elle demeure humaine et sans animosité. Du Grand Bond en avant au libéralisme économique en passant par les dix années de la Révolution culturelle, sa modeste chambre est le refuge d’abord d’un petit groupe d’amis qui se réunit pour prendre le thé et jouer clandestinement au Mahjong puis, à partir des années quatre-vingt, de jeunes gens qui y organisent des « party » et partagent la table de celle qui pourrait être leur mère. À travers la fenêtre ouverte de cet havre de paix intemporel, montent les bruits de la ville, Shanghai, l’autre personnage du roman. Il y a bien sûr les remous politiques, ceux de la terrible et « grande révolution de 1966 » qui s’attaque « à l’âme des gens », puis, après la mort de Mao et la mise à l’écart de la Bande des Quatre, le son abrutissant des téléviseurs qui au cœur de chaque foyer restent allumés toute la journée durant.

Dehors Shanghai se transforme. Se dégrade. Se modernise. La ville et ses habitants changent. La modernité impose ses nouveaux dogmes aux esprits soucieux de vitesse et de quantité, la société n’est plus seulement une société de consommation mais déjà une société de gaspillage…Shanghai devient prospère, une ville où la respectabilité ne s’achète plus avec le petit livre rouge mais avec l’argent. Pourtant, comme le dit l’un des nombreux personnages du livre : « la situation peut changer d’un moment à l’autre. Maintenant règne une certaine liberté, mais bien malin qui peut dire quand les têtes pensantes de l’Etat vont rouvrir les prisons ». Dans les ruelles éternelles de Shanghai, il se passe toujours « des choses inavouables et toutes ces mousses qui poussent à l’ombre, comme des cicatrices sur des blessures, évoquent autant de douleurs qui ne s’effaceront qu’avec le temps ». Au-dessus de la ville volent toujours les pigeons : « aucun drame, avec ses tenants et ses aboutissants, ne pouvaient échapper à leur regard ». 

Le Chant des regrets éternels est empreint de nostalgie et de mélancolie, « une main tendue pour rattraper le temps fuyant sans retour ».

 

Traduit du chinois par Yvonne André et Stéphane Lévêque, éditions Philippe Picquier, 2006, 676 pages, 23 €.

 

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