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Des nouvelles de Kora

Tassadit Imache

Des nouvelles de Kora


9782742782598.jpgDepuis son premier roman paru en 1989, Une fille sans histoire, Tassadit Imache traque, justement, ces « histoires » qui hantent le tréfonds de nos existences, souvent banales et absurdes. Elle n’a de cesse de remuer la vase de ces histoires de famille où pataugent des secrets, réels ou imaginaires, des incompréhensions, des blessures insoupçonnées, des ruptures et des bifurcations… Il est ici question de tout cela mais aussi de mémoire, d’identité, d’exil, d’enfants « bâtards » nés d’un couple franco-algérien, en pleine guerre d’Algérie, du rapport à l’Autre et du regard de l’Autre, avec pour toile de fonds, la grande histoire, celle de la France coloniale, de l’immigration, des banlieues, des relégations et autres représentations sociales et culturelles… 

Le style comme la structure du récit sont sans complaisance et sans exhibition. Tassadit Imache ne fait pas la danse du ventre ! Si « le monde est plein de bouches mortes qui continuent à parler », ici chaque mot est pesé, chaque phrase charrie sens et image. L‘écriture, précise et cinématographique, décrit les doutes, les impasses, les dédoublements, les pertes d’identité, la quête de sens, la folie de Michelle, une taiseuse aux yeux pers, une taciturne qui ne sait pas danser la danse de la « mécanique sociale ». Cette fille d’un couple franco-algérien, née pendant la guerre d’Algérie, a été placée à l’âge de cinq ans dans un centre pour gamins dirigé par La Reine, une femme qui « n’use pas de ces mots qui sucrent la bouche de ceux qui les prononcentLa Reine consignait sur des cahiers d’écolier l’histoire de chacun de ses pensionnaires. Mais voilà ! « On avait le droit d’emporter son histoire ! Mais vous m’avez laissée sortir seule dans ma vie. Je me suis perdue dehors (…) ». De ce temps, lointain et si actuel, Michelle soupçonne sa mère de lui cacher un secret.
Chaque jeudi, depuis dix ans, elle déjeune avec Robert, l’ami philosophe, dans un resto chinois du quartier de Belleville à Paris. Robert fit d’abord la connaissance de la mère de Michelle. Elle soutenait alors la lutte des Sans Papiers de Saint-Bernard. D’après sa fille, elle aurait toujours préféré « la compagnie des autres à celle de sa famille ». Michelle dresse une passerelle entre son enfance et celle de Robert : lui l’orphelin juif et elle d’une lignée de bâtards, l’âme travaillée par le sentiment d’abandon et le corps sentant toujours « l’odeur de la peur ».

Michelle est écrivain. Elle travaille à un roman où Kora, « la femme au beurre rance », le personnage principal est, comme elle, une «  de ces bâtardes prêtes à vivre étouffés jusqu’à leur mort, les restes des leurs coincés dans la gorge pour survivre. » Kora-Michelle ; Michelle-Kora ; récit d’un dédoublement, d’un saut dans les mystères de l’enfance, d’une chute brutale et profonde, qui conduira Michelle à un long séjour dans un établissement psychiatrique et à ce lien d’ « enchantement » avec le Dr. P.
La structure labyrinthique Des nouvelles de Kora illustre la place de l’expérimentation, du tâtonnement, du droit à l’erreur et aux retours en arrière, du primat de l’émotion sur la raison raisonnante, du mouvement et du devenir sur la fixité et la reproduction des identités, de l’invention de nos vies sur les assignations à résidence familiale, généalogique,  sociale ou culturelle. « Sans eux, les grands absents, serais-je devenue moi ? » Non, bien sûr, mais Michelle doit-elle pour autant restée prisonnière ? « Vivre c’est fabriquer de l’oubli et du mensonge » lui confie sa mère. « Dans la vie, il y a des mystères qui doivent rester mystérieux. » Ce livre sombre et difficile laisse échapper un rayon de lumière : « encourager à la vie peut ne pas être une entreprise vaine, n’est-ce pas ? Il faut que ma Kora parle enfin avec les gens ou elle coulera avec ses coups de dents, ses coups de griffes, au fond du fleuve ! ».


Editions Actes Sud, 2009, 132 pages, 16€

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