Amin Maalouf
Les Jardins de lumières
Les Jardins de lumières d'Amin Maalouf raconte l'histoire de Mani né le 14 avril 216 sur les bords du Tigre, non loin de l'actuelle Bagdad. Son enseignement sera non seulement trahi mais défiguré et oublié au point que du manichéisme, les siècles ne retiendront qu'une version erronée de l'opposition entre le Bien et le Mal.
Sans doute n'est ce pas un hasard si Amin Maalouf, chrétien libanais, s'est attaché à cet homme à la fois peintre - il est considéré comme le fondateur de la peinture persane - , médecin et prophète qui fut le protégé et le conseiller de Shabuhr 1er et de son fils Hormizd avant de connaître la disgrâce puis la mort ordonnée par Vahram, le second fils de Shabihr.
Après vingt années passées dans une communauté baptiste repliée sur elle-même et sectaire, Mani, âgé de vingt-quatre ans, commence à répandre sa prophétie.
Chercheur de vérité sans jamais chercher à l'imposer autrement que par la parole et l'enseignement, Mani prêche une croyance qui pourrait rassembler des cultes et des cultures différentes « en chaque croyance, en chaque idée, sachez trouver la substance lumineuse et écarter les épluchures ». Il n'exigera jamais de ses adeptes qu'ils renoncent à leur foi, pensant que chaque religion ou philosophie renferme des éléments communs : « bénis soient les sages des temps passés, présents et à venir. Bénis soient Jésus, Cakiamuni et Zoroastre, une Lumière unique a éclairé leurs paroles (...). Celui d'entre vous qui suivra mon enseignement ne devra déserter ni le temple (...) ni l'autel ».
A contrario de l'opinion générale, Mani offre une vision complexe et fine de la psychologie humaine et de l'histoire : « m'as-tu jamais entendu parler de bien ou de mal ? (...) J'ai dit qu'en tout être se mêlent Lumières et Ténèbres, et qu'il faut toute la subtilité du sage pour les démêler. »
Plus grave. Lui qui refusait d'identifier sa religion avec un pouvoir politique quelconque, prêchait l'abolition des castes et le respect de la femme : « la même étincelle divine est en nous tous, elle n'est d'aucune race, d'aucune caste, elle n'est ni mâle ni femelle, chacun doit la nourrir de beauté et de connaissance ».
Les castes des guerriers, des nobles et des mages auront raison du prophète non violent, prêcheur de justice sociale et d'entente entre les hommes et entre les religions.
Selon Amin Maalouf, au troisième siècle de l'ère chrétienne, l'humanité avait rendez-vous avec Mani. En ratant cette rencontre, elle a entretenu la confusion entre pouvoir politique et religion. Et ce n'est pas fini !
Edition Jean-Claude Lattès, 1991, 340 pages. Réédité en Livre de poche