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Mémoires de la chair

Ahlam Mosteghanemi
Mémoires de la chair


alaune28-7-2009.jpgDans un long monologue intérieur, un homme revisite, pour mieux s’en débarrasser, sa passion pour une jeune femme.
L’ancien moudjahid qui a payé une première fois le prix de la chair pour ses illusions, s’apprête sans le savoir à en payer un second tribut. Lui, le maquisard qui a laissé un bras pour que son pays recouvre liberté et dignité, lui le célébrissime peintre algérien qui a préféré l’exil aux compromissions avec le régime et ses affidés ne se doute pas qu’en croisant par hasard cette jeune femme qui pourrait être sa fille, va voir sa vie basculer. Mémoires de la chair ne constitue pas un resucée du lai d’Aristote, une énième version de cette faiblesse qui pousse certains hommes vieillissants à s’amouracher jusqu’au ridicule d’une jeune et fraîche donzelle.
Certes, Hayat est belle, lumineuse, intelligente, désirable dans sa robe blanche, mais, virevoltante, elle reste insaisissable. Khaled l’aime. Ahlam Mosteghanemi décrit les différentes phases de cet amour irréel depuis la première rencontre dans cette galerie parisienne où Khaled expose ses toiles jusqu’aux affres de la jalousie et du dépit qui fait les jours vides et les nuits sans fin. Passion démesurée, envahissante, exclusive et pourtant cet amour ne se nourrira que de rêves et d’illusions. Tout le reste, c’est-à-dire « tout ce qui n’advint pas » ne sera que littérature. Car, entre Khaled et Hayat, il ne se passera rien. Un simple baiser volé à l’intimité d’un couloir qui, un bref et court instant, rapprocha dangereusement deux corps désirants.
Ahlam Mosteghanemi écrit l’histoire d’un amour algérien qui par bien des aspects prend « la forme du pêché ». Pourquoi Khaled s’est-il toqué de cette fille dont il a deux fois l’âge ? Et pourquoi justement Hayat, la fille de Si Tahar, son ancien et vénéré chef de maquis, celle qu’il ira lui-même reconnaître à la mairie de Tunis pour son père resté à se battre ? Non Hayat n’est pas une belle écervelée qui se joue de la passion de Khaled. Elle est la mémoire de son passé de combattant. Elle réveille chez l’exilé, le souvenir de sa ville natale, Constantine. Elle est l’Algérie, autre figure de Nedjma de Kateb Yacine qui, avec Malek Haddad court à travers les pages de ce roman. Hayat symbolise la plénitude d’une vie. L’échec amoureux laisse place au néant. Khaled comme ces ponts de Constantine qu’il ne cesse de peintre sur ses toiles, est au dessus du vide (voilà qui fait penser à Mourad Djebal et à ses Sens Interdits).
A l’image de cet amour sans lendemain, le roman brosse l’histoire d’une génération, « tuée par ses rêves ». Lorsqu’à l’automne de cette terrible année 1988, Khaled doit pour une deuxième fois séjourner en Algérie, le pays, comme lui, « entre dans l’âge du désespoir ».

Pour Mémoires de la chair ou Mémoires du corps, texte écrit en arabe et publié en 1993 à Beyrouth (« Dhakirat al-jassed »), Ahlam Mosteghanemi a reçu le prix Naguib Mahfouz et le Prix Nour de la meilleure œuvre féminine en langue arabe. Réédité dix-sept fois, traduit en plusieurs langues, le livre connaît une renommée exceptionnelle et a fait l’objet de nombreuses études et recherches universitaires de par le monde.  La traduction n’est sans doute pas toujours à la hauteur d’un texte dont le grand Naguib Mahfouz a dit son plaisir à lire « ce livre magnifiquement écrit ».

Traduction de l’arabe (Algérie) par Mohamed Mokeddem, Edition Albin Michel, 2002, 331 pages, 20 euros

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