Luc Bassong
Comment immigrer en France en 20 leçons
Luc Bassong, fils d’immigrés, auteur de quelques fictions radiophoniques et d’une pièce de théâtre, Matricule, jouée au Théâtre du Rond-Point à Paris, a concocté ici un millefeuille littéraire original et léger. Les couches successives de feuilleté et de crème sont constituées d’un double récit livré en alternance sous la forme d’une vingtaine de « leçons » et autant d’« exercices ». Côté « leçons », Luc Bassong narre sur un mode distancé et croustillant, les vicissitudes d’Isaac pour émigrer en France : tentative légale mais infructueuse pour obtenir un visa et, in fine, passager clandestin sur un cargo battant pavillon tricolore avant d’embarquer avec quinze autres sur une pirogue pour traverser la Méditerranée, « le filtre à café pur arabica » qui fera son triste office : sept candidats n’atteindront jamais les rives européennes.
Côté « exercices », le lecteur assiste, amusé, aux retombés du projet d’Isaac sur son entourage et dans sa famille : il y a d’abord les malheurs sentimentalo-financiers de son pote Augustin, au final pas mécontent de l’échec de son ami dans sa quête d’un visa et surtout les démêlés avec son épouse qui n’apprécie pas du tout le projet de départ d’Isaac et qui, à sa manière, le lui fait comprendre.
Vingt « corrigés » constituent la cerise sur le gâteau (ou le sucre glace). Luc Bassong y saupoudre les désillusions d’Isaac devenu un sans papiers à Paris : « pour l’oiseau qui vient à la vie, tous les espoirs sont permis. Et pour l’Africain qui va à Paris, tous les déboires garantis ».
Tout cela est préparé avec soin, jamais décousu, toujours digeste, servi par une plume alerte, plaisante, riche en humour avec ce qu’il faut de causticité et de remise en question, sur des sujets par ailleurs sérieux voir malheureusement dramatiques : l’immigration comme quête « vitale », l’entraide inter africaine écornée, le cynisme (et l’absurdité) des politiques d’« immigration choisie », les nécessaires mutations identitaires ou l’importance (justement relativisée) de l’histoire face aux exigences du présent et l’appel du futur. Et Isaac, revenu de ses illusions, est bien obligé d’arrêter de prendre ses désirs pour la réalité : « mon histoire, pas plus que toutes celles qui n’ont pas été racontées, n’aura servi à rien, si un jour, quelque part, on n’arrête pas l’hémorragie ».
Edition Max Milo, 2006, 187 pages, 16 euros