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couple mixte

  • Les couples mixtes chez les enfants de l'immigration algérienne

    Bruno Laffort
    Les couples mixtes chez les enfants de l'immigration algérienne


    MauvaiseFoi450RZ.jpgDeux axes ont guidé le travail du sociologue Bruno Laffort. Tout d'abord mettre en parallèle la situation des couples mixtes franco-algériens de la première génération et ceux des générations suivantes. L'auteur s'appuie ici sur une comparaison entre les travaux passés (ceux d'A. Barbara ou de J. Streiff-Fénart notamment) et les résultats de sa propre enquête. Pour réaliser ce travail comparatif, Bruno Laffort s'est livré à une étude des couples mixtes aujourd'hui : qui sont-ils ? Quelles sont les difficultés traversées ou les points de convergence ? Quelles relations entretiennent-ils  avec les familles respectives des conjoints... ?
    L'enquête, menée à Tourcoing et à Roubaix, rapporte les conclusions tirées d'une série d'entretiens avec des jeunes hommes et des jeunes femmes, vivant en concubinage ou mariés, la plupart d'origine algérienne, même si un ou deux entretiens donnent à entendre le partenaire « né en France de parents français ». Sur les onze entretiens, sept sont reproduits in extenso, sans que le lecteur sache ce qui a présidé au choix de cette sélection. On aurait ainsi aimé lire les réponses de Kader ou de Karim (séparés de leur conjointe) ou celles d'Aladin (le seul qui manifeste « un retour à l'islam »).
    Tous les témoignages - mais cela doit-il étonner ? - réfutent, à tout le moins contestent, cette notion de « mixité ». Toutes et tous semblent dire que l'objet même de cette recherche n'a pas lieu d'être étant donné qu'ils pensent ne rien avoir à dire sur un sujet (les couples mixtes) qui ne les concernerait pas. Ainsi, ils soulignent non seulement l'absence d'« incompatibilité culturelle » dans le couple mais l'absence même de difficultés ou de différences à gérer avec un partenaire présenté (par l'enquête) comme étant d'origine culturelle autre. Ces hommes et ces femmes disent, vivement parfois, leur appartenance à des univers socioculturels identiques et présentent leur couple comme la rencontre de deux individualités issues du même « creuset » socioculturel. Les quelques différences ici commentées paraissent bien secondaires voir dérisoires. Qu'il s'agisse de cuisine (le modèle qui domine est la restauration rapide du vulgum pecus moderne et stressé et non le convivial couscous), de langue (le français s'impose), de rapport au temps et à l'espace, d'hospitalité ou... d'aménagement et de décoration.
    La question religieuse elle-même, qui occupe une bonne partie des entretiens, ne constitue, nullement un obstacle. En effet, la plupart des couples partagent la même représentation sécularisée de la religion ou s'adonnent à des pratiques individualisées, libérées des rets du dogme et éloignées des chapelles et des mosquées. Pour les autres, le respect des croyances respectives donne lieu à des aménagements ou compromis : mariage religieux de complaisance, circoncision... Enfin, un couple de croyants (François et Fatima) s'est engagé sur les voies œcuméniques des mystiques chrétienne et musulmane. Manque ici, et l'on peut le regretter, le cas d'Aladin, Aladin l'adepte d'un « islam fondamentaliste » et présenté comme une exception.
    Finalement la « mixité » est dans le regard des autres : communauté, quartier, famille élargie, parents. Le vrai problème que rencontrent tous ces couples mixtes, à des degrés divers, allant de la gestion douce à la rupture, souvent cause de traumatismes, en passant par le mensonge ou la dissimulation du lien avec un Français dit de souche (parfois sur des dizaines d'années !) porte sur le rapport avec la famille du partenaire d'origine algérienne. Quelles que soient les justifications religieuses et socioculturelles, et toute attitude peut trouver une explication, une origine, malgré même la forte charge affective entre parents et enfants et cette relation mère-fille par trop « fusionnelle » (tous les témoignages sont ici émouvants, celui de Fatima en particulier), il faut tout de même appeler un chat un chat. Les souffrances, les blessures, l'intériorisation d'un sentiment de culpabilité, l'hostilité des siens, la rupture et parfois (ce n'est pas le cas ici) la violence physique ne peuvent être dissimulés derrière son petit doigt différentialiste pour éviter des qualificatifs - valables quand il s'agit de « beaufs » bien « franchouillards » - qui seraient, par on ne sait quelle tour de passe-passe intellectuel, inadaptés pour les familles d'origine algérienne ou autres. Il faut alors, simplement reconnaître, comme le dit et le résume Ali qu'« il y a un racisme de la part des parents algériens ». De certains parents.
    Au terme de son travail, B. Laffort montre que les « incompatibilités culturelles » au sein des couples mixtes de la première génération n'existent plus chez ceux des générations suivantes. Pourtant, discutant - une fois encore ! - la notion d'intégration, il réfute ce qu'il appelle « la vision assimilationniste » qu'il attribue aux travaux de M. Tribalat, au profit d'une représentation en termes  d'« addition » des « spécificités culturelles » des uns et des autres - spécificités bien relatives à lire les entretiens reproduits. Cette logique comptable (l'« addition ») ouvrirait sur un « enrichissement mutuel » des conjoints se traduisant notamment par une plus grande « ouverture d'esprit ». Outre que cette « ouverture des esprits » est peut-être aussi une des tendances de la société d'aujourd'hui (via les migrations, la mondialisation, l'intérêt croissant pour les littératures étrangères, la « babélisation » linguistique et autres des quotidiens urbains etc...), cette notion peut rester insaisissable (quand on veut la quantifier, pages 277 et 283) et peut-être même sujette à discussion quand elle devient une « tolérance » servant à justifier, par exemple, un regard complaisant sur le port du tchador (page 278) ! Mais il ne s'agissait que d'un exemple, un malheureux exemple.
    Malgré un côté fastidieux (la langue parlée est reproduite ici fidèlement) et parfois répétitif (à l'intérieur d'un même témoignage ou entre plusieurs témoignages), le livre de Bruno Laffort offre l'intérêt d'entendre  des hommes et des femmes qui disent leur quotidien, banal en soi et, a-t-on envie d'ajouter, heureusement banal. Ils y confient aussi leurs souffrances nées de l'opposition plus ou moins musclée des familles, quand ils ont décidé de partager leur vie avec un partenaire présenté comme étant culturellement différents.

    Edition L'Harmattan, 2003, 27 €

    Illustration: Roschdy Zem et Cécile de France dans Mauvaise foi, film de Roschdy Zem (2006)