Mako Yoshikawa
Vos désirs sont désordres
Mako Yoshikawa est née aux  États-Unis. New-yorkaise, elle  est l'arrière-petite-fille d'une  geisha et signe là son premier  roman. Elle y démonte les ressorts  secrets du désir au féminin  à travers trois générations de  femmes. Il y a d'abord Yukiko,  la grand-mère, ancienne geisha,  vivant toujours au Japon, qui  par amour a épousé Sekiguchi,  accédant ainsi au statut de  femme respectable ; la mère,  Akiko, qui s'est enfuie aux États-Unis avec Kenji, son amant, un  cousin d'origine coréenne, lequel  a fini par l'abandonner, la laissant  seule avec une fillette de  neuf ans. Cette fille, c'est Kiki  Takehashi, la narratrice. Elle  s'apprête à épouser Eric, un  jeune avocat, dynamique et sûr  de lui, autoritaire mais si prévenant  et rassurant...  Pourtant, tout ne va pas de soi.  Kiki ne parvient pas à oublier  Phillip, qui a trouvé la mort au  Népal au cours de l'un de ses  nombreux voyages à l'étranger.  Phillip, ou plutôt son fantôme,  continue, plusieurs mois après  sa disparition, de lui apparaître.  Kiki attend avec impatience la  venue annoncée de sa grand-mère  pour lui poser moult questions  et recueillir l'avis de son  aïeule sur des sujets - désir, relation  amoureuse - qu'elle connaît  bien, et pour cause. À l'aide de  l'histoire et de l'expérience de  ses deux aînées, Kiki tente de  retrouver son propre chemin et  peut-être, alors, de renaître à  l'amour.  L'originalité de ce récit est de  lier à ce thème celui de la transmission,  à travers trois générations  de femmes. "Que cela me  plaise ou non, la vie de ma  mère et celle de ma grand-mère  sont les étoiles à partir desquelles  j'établis mon parcours",  dit Kiki. Avec la même subtilité  qu'elle met à explorer les mystères  du désir, Mako Yoshikawa  traque les tours et les détours  de la transmission. Kiki n'a pas  reçu de sa mère une culture  japonaise ("Je n'ai pas su me  servir de baguettes avant l'âge  de 24 ans, quand Phillip m'a  appris à les utiliser.") et pourtant  elle déclare : "Je suis peut-être  plus japonaise que je ne le  crois." Sans doute que les récits  sur la vie de sa grand-mère que  lui racontait, le soir, sa mère,  ont produit là leur effet.  Ces reliquats d'une mémoire  familiale et culturelle rapportés  par Akiko seraient  "un acte de contrition pour  le fossé qui s'était creusé  entre elle [Akiko] et sa  mère, pour le froid et le  silence presque total qui  allait durer vingt-neuf années".  "Il m'est difficile de  ne pas en vouloir à ma  mère de m'avoir privée de  ma grand-mère ainsi que  de tant de chose", ajoute  Kiki. Après le départ de Kenji,  une distance s'est installée  entre la mère et la fille, Akiko  se repliant sur elle-même et sur  sa douleur. Comme Kiki après la  mort de Phillip. Mais les relations  entre Akiko et Kiki sont  subtiles et complexes. Leur  tendre complicité ne peut éviter  une distance, voire des ruptures  culturelles qui inévitablement  se tissent entre cette mère, Japonaise immigrée aux  États-Unis, et sa fille, d'origine  japonaise certes, mais américaine  avant tout : "Élevée dans  une culture où les membres  d'une même famille se contentent  généralement de se saluer  d'une inclinaison de tête, ma  mère est bien évidemment une  personne réservée, distante  même avec sa fille [...]. La chaleur  d'un corps me berçant et  me serrant contre lui, de même  que la caresse de longs doigts  frais sur ma tête ne sont pas  des choses que j'attends de  ma mère", dit, avec regret mais  compréhension, Kiki.  Une autre distance traverse la  vie de Kiki. Dans ses relations  avec des Américains blancs,  elle montre comment elle est  trop souvent renvoyée et enfermée  dans ses origines, à l'exclusion  de toute autre appartenance  identitaire. Parfois même,  le regard de l'autre ne parvient  pas à se débarrasser d'un imaginaire  empreint de racisme :  "J'ai réfléchi intensément et  depuis longtemps à notre secrète  affinité [avec sa grandmère],  et j'ai découvert ceci :  une Japonaise est pour les  Américains ce qu'une geisha  est pour les Japonais." À ce propos, le titre original  de ce roman est One hundred  and one Ways, allusion aux  cent et une manières d'aimer  un homme...
Traduit de l'anglais par Matine Leroy-Battistelli Flammarion, 2000, 396 pages. Réédité en poche (J'ai lu, 2002)
Une scène ouvre le livre et revient plusieurs fois hanter le récit : le narrateur, réveillé par des hurlements, observe de sa fenêtre, dans la nuit, un homme battre violemment une femme. « Je reste à ma fenêtre. Ce que je vois me déchire les yeux. Ce que je ressens dévoile qui je suis. » Cela se passe à Harlem. La mythique, la légendaire Harlem. Harlem « refuge », « La Mecque noire ». Comme le montre l'auteur, « il fallait que naisse Harlem, où les Noirs pourraient être loin à l'écart » de l'injustice. Mais Harlem est devenu un « ghetto », une « zone ». C'est aussi l'histoire d'Harlem que décrit ici Eddy L.Harris,  de l'Harlem idéalisé - et le mythe a la vie dure - à la réalité du début des années 90 : un ghetto sordide, délabré et dangereux. « La route est longue de Harlem-lieu d'espérance à Harlem-terre de désespoir ».