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Cent seize Chinois et quelques

 

Thomas Heams-Ogus

Cent seize Chinois et quelques

 

450px-Thomas_Heams-Ogus_FNAC_2010.jpg1941, dans les Abruzzes de l’Italie mussolinienne : l’idée de rassembler les Chinois présents dans la péninsule a germé dans le crâne sûrement dérangé d’un illuminé fasciste. Entre 1941 et 1943, au plus fort de leur présence forcée, on en dénombrera 116. Enfin… environ. « 116 Chinois et quelques » comme dit le titre. Difficile d’avoir des informations précises sur cet épisode oublié de la Seconde Guerre mondiale. Il faut dire que ces immigrés, pour leur malheur, sont les ressortissants d’un pays hostile à l’allié nippon. Alors, ni une ni deux, « y’a qu’à ! », et on embarque tout ce qui traîne. Les idéologies affamées de boucs émissaires ne s’embarrassent ni de fioritures ni de complexité. Ce qui valait hier pour les aînés reste vrai aujourd’hui pour leurs rejetons d’un siècle peut-être pas si nouveau.

Et voilà donc ces dizaines d’hommes, immigrés, marchands, aventuriers des temps modernes, venus de leur lointain Empire du milieu, retenus, confinés, bouclés en résidence surveillée dans un ancien monastère des Abruzzes du côté de Tossicia.

« Ce camp, son administration plutôt accommodante, ces prêtres qui les accueillaient étrangement, ne disaient finalement rien tant que le piège imbécile de ces vies ici. »

La performance de ce premier roman tient à la langue de l’auteur et à l’atmosphère qui se dégage de ces pages : tout y est comme suspendu, une éclipse dans le temps provoquée par l’absurdité d’une décision. Les conditions de détention ne sont pas des plus dures. Les Chinois peuvent aller et venir dans un périmètre circonscrit, croiser les villageois, être réquisitionner pour les aider dans les travaux des champs... Et pourtant, avec doigté, Thomas Heams-Ogus montre la fragilité de ces prisonniers, la négation de leur humanité, l’exclusion de la communauté des hommes  que ce  drôle d’internement, « ce piège imbécile », induit.

La détention est rythmée par quelques conversions, le regard impuissant et bienveillant des villageois, le transfert le 16 mai 1942 du camp de Tossicia à celui d’Isola ou par un effleurement, presque une caresse : ce lien silencieux entre une villageoise et un Chinois, faible et à terre, « l’inverse exact des hommes que le régime exaltait ». « La moitié perdue du monde des hommes » écrit Thomas Heams-Ogus.

Quelques uns, en 1943, s’évaderont, iront rejoindre les maquisards. Les autres seront transférés plus au nord, par les Allemands cette fois. La trace de ces Chinois se perdra dans la dispersion, les silences de l’Histoire et l’indifférence des hommes.

La phrase est courte, sobre, chaque mot est pesé. Pas de boursouflures sentimentalo-compassionnelles. Et pourtant Thomas Heams-Ogus offre un récit extrêmement sensible et méticuleux des sentiments intérieurs et de la détresse de ces internés. Il plonge dans les corps et dans les têtes de ces Chinois, manifestant une profonde empathie. Thomas Heams-Ogus, qui n’est pas historien mais biologiste, a voulu tirer ces hommes de l’oubli. Il donne leur nom à la fin du roman. Un livre qui parle de l’absurdité, du rejet et de la négation de l’autre, de l’indifférence. Un livre d’actualité.

Édition du Seuil, 2010, 132 pages, 15€

 

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