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  • Mara

    Mazarine Pingeot

    Mara

    Mazarine%2520Pingeot.jpgL’identité. Les origines. La filiation. Le Je en soi et le je qui est un Autre. La construction de soi dans son rapport aux autres, à une histoire riche ou lourde de plusieurs générations, à cheval sur plusieurs pays, plusieurs cultures, plusieurs langues. Ces thèmes ne cessent d’envahir la littérature. Ils ne font pas seulement le miel des écrivains issus des migrations, auteurs de langue française, anglaise, japonaise, néerlandaise ou autres. Ainsi Mazarine Pingeot, dont on connaît l’histoire, n’est pas fille d’immigrés. Au mieux, elle connaît le monde, entretient quelques affinités avec le proche Maroc et préfère, selon le site bakchich info « faire la classe dans une banlieue qui n’est pas Neuilly ». Pourtant son livre, Mara, portrait d’une belle et jeune femme, traite justement de ces thèmes. On a voulu parfois en faire un roman sur l’inceste, l’amour entre deux jumeaux, un frère, Manuel, et une sœur, Mara. Certes, l’épisode ouvre le roman. Pour autant, la gémellité, ne serait qu’un moment, une strate dans la construction de Mara, dans son émancipation, dans cette maïeutique qui finira par accoucher d’elle-même.

    Séparés à leur naissance, abandonnés aux services de l’Assistance publique, le frère et la sœur se retrouveront des années plus tard. Ensemble, ils vivront comme mari et femme dans une villa de Tanger surplombant les flots bleus et l’horizon lumineux où se dessinent, à quelques brasses seulement, les rivages du continent européen. Le frère et la sœur chercheront dans la fusion des âmes et des corps une réponse, un sens au vide des origines, une identité, un absolu aussi, jusqu’à l’impasse d’un cabanon sur la terrasse.

    Commence alors un autre épisode : l’enquête sur les origines que Mara mène avec Hicham, l’associé de Manuel. De la guerre de libération à la nuit noire des années 90 en passant par l’immigration algérienne à Paris, l’Algérie mystérieuse et son histoire trouble et emberlificotée, constituera le terrain de cette recherche. La France et l’Algérie, en voilà un autre thème qui n’en finit pas d’interroger les consciences et de titiller les curiosités. Cent trente deux ans de colonialisme et plus d’un siècle d’immigration laissent forcément des traces dans les histoires nationales, les cultures et les peuples. Et dans la littérature.

    Alors pourquoi pas l’Algérie ? Reste que Mazarine Pingeot plonge son lecteur dans une étrange litanie des barbaries, servie sur un mode journalistique et se hasarde dans le débat du « qui tu qui ? » pour le moins inutile. Elle est plus à son affaire pour décrire les histoires familiales ou individuelles, le quotidien des immigrés ou de journalistes algériens, et bien sûr ce parcours qui conduira Mara vers sa part algérienne.

    Mazarine Pingeot observe ses contemporains avec acuité, laisse entrevoir avec efficacité les tensions et les mouvements psychologiques, passe allègrement des milieux européens au Maroc à l’immigration algérienne du XXe arrondissement de Paris, de la légèreté des cercles artistico-médiatiques de la capitale parisienne à la chaleur d’un modeste salon d’une famille algéroise, campe ses principaux personnages (Mara, Manuel et Hicham) avec véracité et donne corps à quelques beaux personnages secondaires (Khadija, la femme de ménage ou Hanina, la photographe algérienne)… L’intrigue fonctionne. Les passages d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un milieu social à un autre rythment le cours du récit. Des temps forts de l’enquête retiennent l’attention. L’amour contrarié de Hicham et Mara arrive à émerger du long cycle des crises et des retrouvailles sur l’oreiller.

    Mais le pavé d’un peu plus de cinq cent pages de Mazarine Pingeot pèse. Trop long, il aurait du être abondamment dégraissé, lesté de ses parties rédigées sur un mode quasi scolaire, de ses répétitions et de ses épisodes inutiles ou fabriqués. Tout cela aurait permit de préserver l’intensité d’un récit dont la trame doit se frayer un chemin dans les méandres d’une écriture par trop prolixe.

     

    Edition Julliard 2010, 507 pages, 21€

  • Ce livre va vous sauver la vie

    A.M.Homes

    Ce livre va vous sauver la vie


    AM-Homes-photographed-in--010.jpgFaut-il prendre ce titre au sérieux ? Particulièrement rebutant pour les uns, plutôt attractif pour d’autres, il cache un roman picaresque, trépidant de bout en bout, écrit avec la légèreté et la vivacité d’un papillon volant autour d’un certain Richard Novak, témoin de ses aventures, tantôt improbables tantôt prosaïques.

    Notre héros est un richissime et génial homme d’affaires, un tantinet misanthrope, vivant en vase clos dans sa luxueuse villa des hauteurs de Los Angeles. Son quotidien est réglé comme du papier à musique : levé à l’aurore, consultation des cours de la bourse pendant qu’il fait son jogging sur un tapis, coach à domicile, diététicienne à domicile, ration alimentaire à domicile, spiruline et autres vitamines à domicile, et même un casque doté d’écouteurs pour éviter d’avoir à parler avec la femme de ménage… La caricature parfaite d’un être déshumanisé. Il vit séparé de sa femme, new-yorkaise, professionnelle de l’édition, qui consacre tout son temps à son métier. Il ne voit plus son rejeton de fils, doublement livré à lui-même. Quant à son frère et à ses parents…

    Mais voilà, Richard Novak approche de la cinquantaine. Le livre s’ouvre sur une crise et une hospitalisation high-tech et en urgence. Le lecteur tout comme le premier intéressé ignorent s’il s’agit d’une attaque cardiaque ou d’une autre faiblesse, serait-ce la somatisation d’un début de dépression ou la conscience de la finitude naissant avec l’avancée en âge ? Quoi qu’il en soit, Richard Novak quittera l’hôpital armé de cette seule ordonnance : « Pas la peine de ruminer tout ça - acceptez-le. Quelque chose s’est produit, simplement nous ne savons pas quoi. (…) Pour l’instant vous n’êtes pas en train de mourir, c’est bien, c’est l’essentiel. Vous avez le temps. (…) Jusque-là toute information est bonne à prendre. » Devant sa maison, un glissement de terrain provoque l’apparition d’un trou. Au fur et à mesure qu’il se creuse et qu’il s’élargit, la maison s’affaisse et menace de tomber.

    A partir de cet événement, l’existence de Richard Novak va prendre un tout autre cours. Il s’interroge, revient sur son existence, ses liens avec les siens, à commencer avec son fils. Lui qui se nourrissait de céréales aux allures de « copeaux de bois » et de lait sans lactose se met à dévorer donuts et pizzas, boire du whisky et fumer quelques joints. Il multiplie les rencontres hier encore impossibles à seulement envisager : un immigré indien entreprenant, une femme au foyer déprimée, une star de cinéma, une idole des années 70… Il se remet même à faire l’amour ! Il passe quelques jours chez son frère, héberge son fils, retrouve son ex dont il est toujours épris…

    Mais ce n’est pas tout : Il sauve un cheval, délivre une pauvre femme kidnappée dans un coffre de voiture,  visite les pensionnaires d’un hospice, s’adonne  le temps d’un stage à une semaine de silence et de méditation...

    Au cœur de toutes ses aventures et rencontres : la naissance d’un altruisme nouveau, une compassion pour ses semblables, le souci des siens (et de soi), le retour à une humanité perdue.

    Porté par des dialogues savoureux, tout ici file à vive allure, tient en haleine, sans jamais adopter un ton gnangnan ou des accents pour lecteurs macrobiotiques décharnés et haut-perchés. Il s’agit bien d’une satire drôle et humaine d’une société qui a placé au centre de ses valeurs le travail et l’argent - la Rolex au poignet ! -  l’indifférence et le tout à l’ego. Alors faut-il prendre au sérieux le titre de ce roman ? Sans doute que oui, en tout cas pour l’auteur, il ne doit pas seulement s’agir d’un simple clin d’œil…

     

    Traduit de l’américain par Yoan Gentric, Actes Sud 2008, 447 pages, 23€