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Le Musée

Leila Aboulela
Le Musée


leilaabo.jpgDans le malstrom migratoire contemporain où le métissage est de bon aloi, l'interculturel mou et l'universel uniformisant, les modernes Roméo et Juliette voient leur union finir non plus dans une mort tragique mais dans un pavillon de banlieue qui, une fois la semaine, exhale les effluves d'un royal couscous réunissant famille et belle-famille. De temps à autre, certaines voix sortent les contemplateurs béats de leur torpeur et de leurs illusions devant ce doux tableau des mariages et autres unions mixtes. Des témoignages, des enquêtes journalistiques, des études sociologiques et des romanciers rappellent que tout n'est pas toujours rose sous le ciel, moderne et universel, des rencontres entre des êtres appartenant à des univers différents.
Leila Aboulela est une Soudanaise née en 1964 au Caire. Elle a grandi à Khartoum avant de vivre à Londres, en Ecosse en Indonésie et aujourd'hui à Abou Dhabi. Son premier livre, La Traductrice, est paru chez le même éditeur en 2002.
Dans cette longue nouvelle, elle raconte avec subtilité et émotion, comment les doutes et la culpabilité gagnent Shadia à mesure que croît son intérêt pour Bryan. Shadia est une étudiante soudanaise venue en Écosse pour passer un master en sciences. Au pays, elle a laissé sa mère et ses cinq sœurs. Son riche mais terne fiancé, magnanime et libéral,
lui a permis de poursuivre ses études à l'étranger. Pendant son absence, il construit la maison, un "véritable immeuble", qui abritera leur hymen, la belle mère, les belles-sœurs et les amis.
Son avenir est tracé et son monde clos. Shadia est seule en Écosse. Avec un groupe d'étudiants étrangers comptant deux Africains, un Turc et un représentant de Brunei, elle reste à l'écart des autochtones jugés indifférents, au pire hostiles et agressifs. C'est du moins avec cette mentalité, d'assiégé et de parano, que le groupe se vit, dans cette université étrangère. Mais voilà, l'imprévu attend la jeune fille au détour d'un banal échange de cours avec le timide
mais brillant étudiant Bryan. Culturellement comme socialement, tout sépare les deux jeunes gens. Pourtant, les a priori et les réticences de Shadia tombent devant l'attitude de Bryan. Elle sent aussi que ce qui lui manque de son pays n'est pas ce qu'elle pensait, n'est pas ce qui devrait.
Mais une banale visite au musée d'Afrique de la ville va creuser dans son esprit un abîme entre Bryan et elle. L'héritage colonial, - les représentations et les certitudes attribuées à l'un, la conscience et le complexe victimaires prêtés à l'autre - en sera l'instrument. Un instrument bien grossier, trop idéologique peut-être, en tout cas bien moins subtil que les premières et intimes interrogations de la jeune fille confrontée à cet autre, bien différent certes, mais si disponible, si disposé. Certains commentateurs voient, dans cette attention portée à l'Autre (avec toutes les ambiguïtés et contradictions de rigueur), la marque de l'identité européenne. Ici, c'est bien Bryan qui tend la main, mais si Shadia retire la sienne, ce n'est pas dans un geste d'hostilité, mais par crainte.

Traduit de l'anglais par Christian Surber,  Edition Zoé (Genève), 2004, 45 pages, 8 €

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