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Racaille

Karim Sarroub
Racaille


Sarroubnb.gifSans vouloir médire de Gide, il n’est pas certain que l’on ne puisse pas faire de bonne littérature avec de bons sentiments ; mais d’évidence on ne fait pas un bon livre en accumulant des poncifs, même de bon aloi, mâtinés de vérités assenées à la hussarde et d’inutiles provocations. C’est malheureusement l’impression que laisse Racaille après en avoir fini la lecture. Ce qui est en cause ici, ce n’est ni l’auteur, qui semble plus qu’estimable, ni ses prises de position qui pour être parfois exagérées renferment aussi leur part de vérité et de courage (on pense à Taslima Nasreen, à Mina Ahadi en Allemagne ou Chahdortt Djavann en France). Non ! le hic concerne d’abord et exclusivement la littérature. On ne croit pas à cette histoire qui voit un certain Mohamed s’échapper de l’asile d’aliénés dans lequel il est enfermé et, après un passage par Skikda (sa ville), Constantine puis Alger, embarquer clandestinement pour la France où, l’infortuné retournera à la case départ. Pourtant ce Mohamed a une savoureuse idée : créer une association humanitaire et rapatrier en Algérie « les Juifs, les harkis et les bons pieds-noirs, sauf un », dont on taira ici volontairement l’identité. Cette idée bien sûr ne peut que le rendre suspect aux yeux des gardiens de la loi et de la foi.
Évidemment, pour Mohamed, c’est l’Algérie qui est devenue folle et, s’il ne s’agit pas de revenir en arrière (que les nostalgiques de l’Algérie de papa ne piaffent pas), du moins serait-il temps de réparer le gâchis. Iconoclaste à souhait, Mohamed inscrit d’ailleurs sur le monument aux morts érigé sur les hauteurs d’Alger : « De Gaulle, on t’a bien pourri la vie et repris l’Algérie de force, n’est-ce pas. Mais, gros malin, si tu voyais l’état du pays aujourd’hui… une vraie poubelle. Pour ça, chapeau, tu as su te venger et tu continues encore à te venger des décennies après. Tu n’aurais pas pu faire pire, tu sais… ». Jusqu’ici l’histoire pourrait fonctionner mais la démonstration pêche par l’inconsistance des personnages (Mohamed et son pote Mustapha ou encore la veuve de Boudiaf, le vieux moudjahid, Moh l’immigré, Alexandre, etc.) et l’enfilade des dénonciations (la barbarie de la circoncision, l’islam, les terroristes, le pouvoir algérien, l’antisémitisme, la discrimination dont sont victimes les Kabyles en Algérie ou les « Beurs » en France, le sexisme et autre misère sexuelle…) comme si l’auteur avait été emporté par ce qu’il avait sur le cœur. Un trop plein de silences et de souffrances. L’empathie peut jouer, mais le lecteur reste sur sa faim. Quand il n’est pas surpris voir interloqué.
Ainsi Karim Sarroub veut sans doute faire son Houellbecq quand il affirme d’entrée : « je m’appelle Mohamed, j’ai seize ans (…), je déteste les religions surtout l’islam (…) ». Le ton est ainsi donné, mais il n’est pas certain que cette charge sans discernement (c’est du moins l’impression qui se dégage) fasse mouche. D’autant plus quand le livre apostrophe les « intellectuels arabes » pour leur manque de courage quand il est question d’islam. Voilà qui est faire peu de cas des Abdelwahab Meddeb, Maleck Chebel ou Fethi Benslama (pour en rester à la France), et des critiques émises au sein même de l’islam (voir par exemple Ghaleb Bencheikh et son frère Soheib) ou des perspectives ouvertes par certains penseurs rationalistes (Mohamed Arkoun ou Youcef Seddik)
Reste que sur cette question religieuse, notre Mohamed, s’adressant à Moh, ci-devant immigré de Lille, voit juste : « Vous savez ce que vous êtes, là-bas [en France] ? La communauté musulmane. L’islam. En France, on vous appelle les musulmans. C’est scandaleux. C’est pire que racaille. Vous nous faîtes franchement pitié. Si ce n’est pas ça le mépris, mon vieux, faudra me l’expliquer ». Zahia Rahmani laissait entendre la même chose dans son Musulman, roman paru en 2005 chez Sabine Wespieser. Voilà qui est sûrement plus pertinent que de céder à cette facilité qui consiste à comparer les banlieues aux ex-colonies ou de prédire que, demain, les « beurs » reconnaîtront la France pour leur patrie. Ils le savent et depuis longtemps a t-on envie de rappeler. C’est n’est plus eux qu’il faut convaincre mais ceux qui traitent ces « beurs » de « racailles » avec qui Mohamed le clandestin ne veut surtout pas être confondu…

Edition Mercure de France, 2007, 155 pages, 14 €

Commentaires

  • Bonjour Mustapha Harzoune,

    J’ai lu votre article hier. On ne peut que sourire en lisant votre article sur Racaille. Quelle naïveté !

    Bien naturellement, dès les première pages, que dis-je, dès les premières lignes (dès les dédicaces devrais-je dire !), on comprend que ce superbe roman n'est pas fait pour plaire aux Maghrébins, et encore moins - beaucoup moins - aux Algériens. Aux Algériens avec un grand A parce que j'aime ce peuple, plus que tout autre. Mes parents sont nés en Algérie, que je connais bien.

    Bien naturellement je suis allée voir sur internet et j'ai lu quelques-uns de vos articles sur l'immigration et le rapport équivoque (c mon avis) que vous entretenez avec l'identité, l’immigration, l’émigration, l’intégration. Enfin, on voit que ça vous travaille beaucoup. Karim Sarroub, que j’ai connu en 2008, vous aurait dit : mon pays est celui que j’ai choisi moi d’habiter : ma langue.

    En vous lisant j’ai mieux compris pourquoi ce livre vous a déplu. Curieusement, contrairement à d'autres, comme Hugo Marsan (Le Littéraire), Elsa Vigoureux (Le Nouvel Obs), Mohamed Aissaoui (Le Figaro), Paula Jacques (France Inter), Youcef Zirem (La Maison des Journalistes), Olivier Rachet (Zadig Buchhandlung), Laurent Wolf (Le Temps.ch), Valérie MLM (Le Monde), Jean-Claude Perrier (Livre Hebdo), ou encore Lucie Cauwe (Le Soir.be) et la liste est longue, contrairement à tout ce beau monde ainsi que les lecteurs (il suffit de regarder sur Amazon/Fnac), vous êtes le seul à n’avoir pas aimé ce délicieux roman. Dommage. Rassurez-vous je ne vais pas vous faire un procès !

    Ce qui est certain, c’est qu’à votre place, Karim Sarroub aurait dit tout ce qu’il avait sur le cœur sans circonvolutions !

    Vous écrivez à la fin : "Ce n’est plus eux qu’il faut convaincre mais ceux qui traitent ces "beurs" de "racailles" avec qui Mohamed le clandestin ne veut surtout pas être confondu…"

    Pourtant, vous avez lu dans son roman qu’il n’épargne pas non plus, longuement et durement, "ceux" qui traitent ces beurs de "racailles" ? Alors pourquoi faire comprendre le contraire au lecteur, comme si Karim Sarroub ne l’a pas fait ?

    Si vous me le permettez, je reviendrai publier en commentaire une partie de mon mémoire que j’ai consacré en 2007 à ce roman. Je vous préviens ça sera un autre point de vue, plus enthousiaste !

    Bien cordialement
    elsa.cohen-delorme

    Ps : Karim Sarroub va m’envoyer le mémoire d’un Algérien, Yacine Meskine, qui a aimé Racaille alors que ses livres sont censurés en Algérie ! (à part le premier A l’ombre de soi)
    Je ne reproche à ce roman que le titre, très très mal choisi, et aussi le fait qu'il soit court. Hugo Marsan le dit très bien dans cet article ci jint

    Les livres qu’on aurait voulu pouvoir écrire...

    Autre temps, autre lieu, autre histoire,
    autre style, autre vérité : Racaille de Karim
    Sarroub. Le titre ? Ne vous y fiez pas. Il se
    lit au énième degré. Karim, Français -
    d’origine algérienne comme on dit
    bêtement -, ne s’en prend pas spécialement
    aux Français, ni aux diffuseurs de théories
    xénophobes (sinon au racisme ordinaire dont
    se défendent les braves gens). Il raconte
    l’itinéraire d’un Algérien de 16 ans qui fuit sa
    famille (mémoire terrifiante de la "fête" de
    sa circoncision). Cette errance sordide se
    tient à distance d’une lamentation
    rédemptrice. La fantaisie primesautière du
    jeune héros a tempéré d’un fatalisme
    revitalisant tout ce qui pourrait nous tirer des larmes stériles.
    Mohamed fuit également les magouilles et les interdits stupides de
    ses propres coreligionnaires, leur infantilisme et leur cruauté... Une
    lucidité qui n’épargne personne et fait fi de tous les tabous. La vie
    est là, bleue et aguichante.

    Après un périple algérien avec son copain Mustapha (homosexuel), il
    débarque, seul, en France. Son destin d’immigré clandestin est-il
    pire ? Pas sûr. Beaucoup d’humour, un parler franc, une sagacité
    tranchante, une rage salutaire, une violence nécessaire : voilà
    l’armure sous laquelle se préserve notre Candide pour mieux nous
    dire l’enfer d’un jeune être humain en prise avec la bêtise
    dévastatrice de ceux qui se soumettent à des codes sans
    fondements. Racaille est le très alarmant deuxième roman d’un
    jeune auteur courageux.

  • Un commentaire fort intéressant, s'il en est que le votre... Connaissant les critiques de Mustapha depuis quelques année déjà, admettre l'idée qu'il puisse être naïf me fait à mon tour sourire... voire plus largement... Je n'ai pas lu Sarroub mais je vais m'empresser de le faire pour comprendre d'un côté tant d'engouements et de l'autre une critique si peu amène...

    Bien cordialement

  • j'ai lu son premier roman A l'ombre de soi qu'il a sorti en 1996 ou 97 qu'il a dédié a son éditrice isabelle gallimard et au peuple algérien, un roman bien écrit qui m'a rappelé un peu l'étranger de camus mais surtout la nausée de sartre que j'ai bien aimé mais depuis l'auteur me tape sur les nerfs; sa soi disant liberté de ton est trop exagéré à mon avis;

  • merci pour ces lignes j'avais bien aimé l'histoire du petit mohamed, un personnage très touchant et rebelle

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