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Verre cassé

Alain Mabanckou

Verre cassé

 

L100xH164_arton4-066c7.jpgL’écrivain congolais Alain Mabanckou avait reçu le Prix des cinq continents de la Francophonie 2005 pour Verre Cassé. Le jury international, présidé par Henri Lopès, autre écrivain congolais et composé entre autres de Paula Jacques,Vénus Khoury-Ghata, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Andréï Makine, Leïla Sebbar, Denis Tillinac, avait salué «les qualités littéraires, la langue truculente, la gouaille et l’humour » du roman et « l’espoir qui demeure dans un monde gris peuplé de personnages attachants. »

Né au Congo en 1966, professeur de littératures francophone et afro-américaine à l’université du Michigan, Alain Mabanckou avait déjà obtenu, en 1999, le Grand Prix littéraire d’Afrique noire.

Verre cassé s’ouvre sur quelque trente pages d’humour et d’irrévérence à se tordre. Dans un style oral, au jet continue, qui n’accepte pas le point, rythmé par des virgules seulement, l’auteur déploie une écriture subversive, fantaisiste et colorée. Alain Mabanckou épingle les dictatures africaines et multiplie les références, les allusions, les clins d’œil et les coups de griffes à destination de ses confrères et consœurs en écriture. Du bel ouvrage, de celui qui ne se prend pas au sérieux et met les neurones en action sans provoquer d’horribles maux de tête.

Un livre, c’est ce que Verre Cassé, ci-devant instituteur autodidacte de 64 ans, écrit sur un cahier d’écolier et sur l’insistance de L’Escargot entêté, le patron du bar Le Crédit a voyagé, adepte du martial poème La Mort du Loup d’Alfred de Vigny. Entre deux cuites, Verre cassé doit coucher sur le papier les tranches de vie échouées dans ce bar congolais interlope. Mais à son rythme et en toute liberté, il ne faudrait pas que L’Escargot entêté s’imagine que Verre cassé soit son « nègre » …

Défilent alors les récits du « type aux Pampers », de « l’Imprimeur », de « Robinette », et d’autres. Justement, pour le « type aux Pampers », tout démarre comme une farce où les universels désagréments de la vie à deux conduisent l’époux au quartier Rex, « à l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Mais la redoutable épouse accuse son conjoint de pédophilie et là, ça ne rigole plus ! Interné sans procès dans la prison de Makala, l’homme sera quotidiennement sodomisé pendant plus de deux ans. À sa sortie, le fondement béant et humide, gonflé par quatre couches, il ne lui reste plus qu’à mendier. « L’Imprimeur », lui, a « fait la France » et il en connaît un rayon sur les dures et caricaturales expériences de l’intégration républicaine mais surtout sur la désintégration du couple mixte et les déboires et « menteries » des familles éclatées. « Robinette » est une femme de caractère et une vraie fontaine : aucun des autres habitués du bar ne peut la battre au concours de longue durée d’émission d’urée…

La dernière journée de Verre Cassé, celle « des illusions perdues », commence à cinq heures du matin, dans… la merde ! Pendant qu’il laisse refroidir le poulet-bicyclette acheté chez Mama Mfoa surnommée « La Cantatrice chauve », il raconte sa propre histoire. Le vieil instit autodidacte lance alors, et de bon cœur, ses diatribes contre certains écrivains et autres intellectuels. Il rappelle une des leçons données à ses élèves qui est aussi une des clef de ce livre-hommage à la littérature : « ce qui était important dans la langue française, c’était pas les règles mais les exceptions, je leur disais que quand ils auraient compris et retenu toutes les exceptions de cette langue météorologiques les règles viendraient d’elles-mêmes, les règles couleraient de sources et qu’ils pourraient même se moquer de ces règles, de la structure de la phrase une fois qu’ils auraient grandi et saisi que la langue française n’est pas un long fleuve tranquille, que c’est plutôt un fleuve à détourner ». Éloge  de la littérature, éloge de l’écrit sur l’oral et apostrophe des « formules toutes faites du genre « en Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » car comme le dit Verre Cassé : « ça dépend de quel vieillard, arretez vos conneries, je n’ai confiance qu’en ce qui est écrit ».

 

Edition du Seuil, 2005, 202 pages, 17 euros

 

 

 

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