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Enfants d’ici, parents d’ailleurs.

Carole Saturno
Enfants d’ici, parents d’ailleurs. Histoire et mémoire de l’exode rural et de l’immigration


saturno.jpegCarole Saturno offre ici, pour la première fois peut-être en publication « jeunesse », une histoire de l’immigration en France et inscrit cette histoire dans la continuité de l’exode rural endogène (breton en fait) de la première moitié du XIXe siècle.
Riche d’une centaine de photos et d’illustrations, le livre présente sous la forme d’un module de six double pages chaque immigration (depuis les Bretons jusqu’aux Asiatiques en passant par les Juifs, les Russes et autres Italiens, Portugais ou Yougoslaves). Il mêle à la parole-mémoire des enfants (Alice la bretonne, Benvinda, Karim ou Mamadou), des témoignages de migrants et d’indispensable repères-synthèses sur les différentes vagues migratoires. Ces synthèses offrent le regard de l’historien et inscrivent chaque migration dans l’histoire nationale : industrialisation, guerres, crises, politiques d’accueil ou de recrutement, replis xénophobes, décolonisation… Les textes sont courts, des encadrés attirent l’attention sur des événements ou des personnages d’importance, des frises chronologiques fournissent la perspective historique nécessaire, des cartes situent chaque région d’émigration par rapport à l’hexagonale patrie des droits de l’homme et les illustrations, sur un mode naïf, se révèlent riches en évocations et parfois en émotions.
Certains sujets délicats et controverses (la Tchétchènie avec Sacha, l‘intégration de la Turquie avec Jules le « 100% français et 100% arméniens », la « dette de sang » contractée par la France à l’égard des Africains revendiquée aujourd’hui par les Sans-papiers, les zones d’attente ou les mariages arrangés au sein de la communauté turque)  ne sont nullement éludés, ce qui permet de conjuguer cette histoire au présent et même au futur proche.
Une dernière partie s’attache justement à montrer les nouvelles formes et les enjeux des migrations : à commencer par sa mondialisation, la pertinence des politiques de plus en plus répressives alors que les rapports et les prévisions statistiques montrent le rôle de l’immigration pour enrayer le déclin démographique de l’Europe, les ambiguïtés d’une « immigration choisie », la fuite des cerveaux qui frappe les pays du Sud…
Bien sûr, il serait toujours possible dans une entreprise de ce genre de pointer tel ou tel manque (on pense à la question de l’islam traité seulement via le ramadan ou la question du voile) ou parti pris (voir le parallèle entre immigrés et ci-devant « sujets de l’empire » qui fait irrésistiblement songer aux thèses des « indigènes de la République »), mais cela reste très secondaire.
Le livre de Carole Saturno est bien fait, pédagogique à souhait et donc utile pour l’enseignement d’une histoire par trop ignorée, trop longtemps méprisée, pour aussi réfléchir sur l’identité nationale et le regard porté sur les migrants d’aujourd’hui. Il devrait faire en sorte qu’effectivement, selon la formule aujourd’hui consacrée, « leur histoire » soit aussi « notre histoire ». Que l’on commence ce travail dès les bancs de la communale avec « nos » chères têtes (pas toutes) blondes est heureux et même impérieux. Précision tout de même : ce livre, présenté comme un livre pour enfants, lisible à partir de neuf ans, devra sans doute être lu avec un adulte, en revanche, il déborde aisément le cadre étroit de la littérature jeunesse et devrait en apprendre à plus d’un… parent.


Edition Gallimard Jeunesse, livre pour enfants (à partir de 9 ans), 2005, 144 pages, 22,90 euros

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