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  • La Honte sur nous

    Said Mohamed

    La Honte sur nous

    1396315_3289539.jpgSaïd Mohamed  a publié depuis 1986 une dizaine de recueils de poésie et, après un premier roman paru en 1997 au Maroc (1), il poursuit le récit de sa vie, la description des lieux et des rencontres qui ont constitué son univers. Dans La Honte sur nous, qui a reçu le Prix Beur FM, les phrases, courtes, incisives, rageuses défilent telles des rafales de mitraillettes. Le style, cru, à l’adjectif rare, claque.
    Rien – et surtout pas la plupart de ses profs qui l’épinglaient « mûr pour Fleury-Mérogis » - ne prédestinait Saïd Mohamed à l’écriture et à une certaine réussite professionnelle. Dans ce deuxième livre, l’enfant de la DASS s’émancipe de la logique d’un système qui lui donnait rendez-vous en prison. Une rencontre lui a permis de s’extraire des voies de garage aménagées par l’Education nationale « où s’entassait le rebut du système scolaire » et d’une formation de typographe déjà dépassée – « ce qu’on nous avait entassé dans le crâne n’avait plus cours sur le marché. De la monnaie de singe, de l’emprunt franco-russe, avec lequel il fallait se défendre, gagner sa pitance ». La « rencontre » arbore de longs cheveux blonds, porte un levis et un tee-shirt sans soutien-gorge. Le genre de professeur principal auquel il est difficile de résister.
    Grâce à ce prof de français, Saïd Mohamed va « engloutir » les livres qu’elle lui prête, il va même se mettre à écrire et évoluer dans des cercles nouveaux où gauchisme et marginalité font bon ménage.
    Sans concession aucune, Saïd Mohamed décrit les milieux par où il est passé, le sort des laissés-pour-compte, les boulots de misère, la délinquance des uns, l’alcoolisme des autres, la solitude d’une humanité abandonnée à elle-même par une société indifférente, folle, « la folie de cette grande mécanique qui broie les hommes et les rend si misérables ».


    photo.jpgAvec le même réalisme, la même brutalité, il rapporte l’histoire, la sordide et terrible histoire familiale. Pas de pleurnicherie ici. Les choses sont ce qu’elles sont et il faudra bien faire avec. Faire avec une mère détestée par son propre père qui lui avait prédit « qu’elle crèverait comme une chienne »
    et qui, avec trois hommes différents, a eu au moins six rejetons qui tous ont atterri à l’Assistance publique. Faire aussi avec un père alcoolique et violent déclaré « dingue » par le juge des affaires familiales. Ouvrier marocain, il s’engage pour la France faute de travail et se retrouve à manier la pelle et la pioche pour le compte des Allemands puis des Américains sur le mur de l’Atlantique avant de le faire pour reconstruire la France. Plus tard, le travail dans les carrières lui faudra une silicose à la chaux vive. « La vie lui avait servi une méchante part, plus qu’à tout autre ».
    Pour ne pas arriver au « moment où l’on crève de réprimer son rêve », un beau matin, Saïd Mohamed claque la porte. « J’ai senti que, si je restais-là, j’y serais enterré vivant ». Il part, en stop. Direction le Maroc paternel pour retrouver son géniteur de père qui finit ses jours dans son village perché dans la montagne berbère. Alors qu’il n’est pas encore tout à fait à même d’en mesurer l’importance, ces retrouvailles seront un viatique pour le jeune homme.
    A ce moment du récit, le style change. Les phrases s’allongent, le ton semble comme apaisé, plus harmonieux. Saïd Mohamed prend alors le temps de décrire la vie du village, il s’arrête sur cet homme qui est son père, prend le temps de l’écouter, de le découvrir. Le calme est au rendez-vous.
    La Honte sur nous est une autobiographie écrite à vif. Un témoignage sans tricherie mais sans concession sur cette part honteuse d’elle-même de la société française.

    (1) Un Enfant de Coeur, éd. Eddif, Casablanca, 1997.


    Edition Paris Méditerranée, 2000