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Mille regrets

Vincent Borel

Mille regrets

 

CHARLES QUINT.jpgLe XVIe siècle n’en finit pas d’inspirer nos contemporains et nombreux sont les auteurs qui y cherchent quelques lumières pour comprendre les bifurcations des sociétés et des hommes ou simplement éclairer les routes que nous empruntons aujourd’hui et dont nous ignorons vers quel nouveau continent elles mènent l’humanité toujours en marche. Vincent Borel ne revisite nullement Montaigne et le message de la Renaissance, il ne cherche pas dans le sillage de Christophe Colomb ou dans le combat de Las Casas à interroger l’Autre et à dessiner les contours d’un moderne métissage. Dans ce quatrième roman, ce gapençais embarque son lecteur sur La Viole de Neptune une galère de Charles-Quint. La Méditerranée  est alors agitée par l’opposition entre le déclinant empereur du Saint Empire et Soliman le Magnifique. Au cœur de cette rivalité, moins religieuse que géopolitique, il y a Gombert, le chantre châtré, Garatafas, le beau et solide Turc et le malheureux Sodimo, passionné d’orfèvrerie et de sculpture, expert en miniature jalousé de Benvenuto Cellini. Les trois hommes sont ballottés dans les soubresauts du siècle, jouet de la providence, instrument d’une intrigue d’espionnage et incarnation symbolique de l’absurdité mortifère des intégrismes et autres « théories de l’hygiène raciale ». Eh oui le XVIe siècle et ses guerres de religions peut aussi enseigner la tolérance et la fraternité si ce n’est entre les Hommes, du moins entre les gens du Livre et aider à admettre que Turcs et Chrétiens ne sont pas « nés pour une éternelle détestation ». Et si pour cette magistrale démonstration, les homoncules n’y suffisaient pas, Vincent Borel, convoque la Sainte Trinité ou « l’Unique à trois faces » – entendre Yahvé, Dieu et Allah – et accessoirement quelques divinités grecques, pour railler l’ONU c’est-à-dire « l’Organisation des nés uniques », chrétiens, musulmans ou juifs.

Il est impossible de raconter cette histoire riche en personnages, en événements, en rebondissement et en références historiques où le lecteur passe de la cour impériale aux galères, d’Alger, la cité corsaire qui compte alors cent mosquées mais « n’en possède pas moins deux synagogues et deux chapelles catholiques » à Rome mise à sac, de Wittenberg où Luther, « troquant le vin pour la bière » écrit « plus d’épîtres que saint Paul n’en rota » à Marseille et Toulon où la flotte de Barberousse n’en finit pas de mouiller attendant que le roi de France en termine avec l’élaboration de sa géniale tactique.

Vincent Borel offre un récit savoureux et passionnant. Le lecteur apprend mille et une choses sur les activités des hommes et sur la langue en usage en ces temps lointains. Le texte est chatoyant et musical, sensuel et gourmand, la phrase chaloupe, l’adjectif bat la mesure, et l’apophtegme, souvent irrévérencieux, joue la syncope dans un rythme tenu sans faiblesse. Tandis que sur La Viole de Neptune, Gombert monte une chorale de galériens où un « infidèle » chante des psaumes chrétiens, la neige des monts de l’Atlas est ramenée en contrebande dans des tonneaux qui baignent à cinq brasses de profondeur, là où l’eau reste froide, pour satisfaire la gourmandise de la cour d’Espagne et tout particulièrement de la gent féminine entichée des sorbets à l’orange.

180px-Chaireddin_Barbarossa.jpgÀ Alger, les trois infortunés compères sont achetés par le bey Hassan. Il est le dernier membre de ce quatuor d’humanité. Il traîne aussi une sombre histoire : capturé en Sardaigne, il s’appelait alors Daniel, il a été témoin de l’assassinat de sa famille par les hommes des frères Barberousse.  Aroudj veut le tuer mais Kheir ed-Din réussit à sauver et à adopter l’enfant en échange… de sa castration. À Alger, l’islam populaire, accort et léger, sait braver les interdits et « le vin du chrétien [éclairer] la pensée du mahométan ». Autour de Hassan, les séances théologiques entre docteurs de la foi musulmane et rabbins démontrent  à Gombert que « d’une religion – et d’un livre – à l’autre, il y a peu de différences. Les trois sont dans chacune, et ces dissemblances sur lesquelles se crispent les esprits malintentionnés aident plus les puissants qu’elles ne consolent les pauvres ». Hassan aidera ses amis à fuir. Il les dotera d’un secret militaire sensé assurer leur fortune en pays chrétien. « Mille regrets », la chanson de Gombert et un tatouage exécuté par Sodimo sur la peau de Garatafas en sera la clef. Les trois amis parviennent à fausser compagnie aux hommes de Barberousse, laissant l’antique Icosium aux prises avec l’islam rigoriste des janissaires et avec les « entourloupes barbues » fomentées contre les Juifs et contre Hassan Agha. Mais, sur les routes du vieux continent nos trois fugitifs voient aussi « l’incendie religieux croître et les inquisiteurs pulluler ». 

 

Ed. Sabine Wespieser 2004, 400 pages, 22 euros.

 

 

 

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