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poésie

  • L'Étreinte du monde

    Abdellatif Laâbi
    L'Étreinte du monde




    zhao_bo_art_lovers_300.jpgAbdellatif Laâbi est né en 1942 à Fès. Installé en France depuis 1985, l'homme appartient à cette communauté restreinte d'écrivains et de poètes précieux, dont l'œuvre et la vie brillent comme une balise dans la confusion d'un "monde qui s'écroule". Fondateur en 1966 de la revue marocaine Souffles,  emprisonné de 1972 à 1980,  Abdellatif Laâbi n'écrit pas pour ne rien dire ou pour épancher des bobos à l'âme :


    "Les marteaux du monde peuvent frapper  
    je ne me courberai pas".


    La page blanche n'est ni un confessionnal, ni un divan.  Le poète se veut artisan, amoureux du vocable, du mot juste,  de l'image poétique. Il polit son propos, travaille sa matière pour créer sa propre langue. Ni verbeuse, ni absconse, elle reflète un monde intérieur et rend compte de la marche du temps.  Auteur prolixe et varié - romancier, poète, essayiste,  traducteur -, Laâbi éclaire la voie du lecteur, l'aide à  

     

    "remonter le fleuve
    jusqu'à la source des sources".

     

    Les  "barbares" - fils de pub, ordonnateurs des grands-messes médiatico-télévisuelles, despotes en tout genre, fieffé tyran ou démocrate patelin - "parlent-ils une langue inconnue" ? Que le lecteur se rassure,  ici les mots ne sont pas  "souillés". Le recueil s'ouvre sur un long poème adressé à l'aimée :

     

    "Alors dis-moi simplement ce que tu vois
    De quel mal meurt-on aujourd'hui
    Quelle est cette arme invisible qui extirpe l'âme
    et le goût à nul autre pareil de la vie."

     

    Le silence et la souillure attisent la parole :

     

    "Va ma parole
    délie moi
    délire-moi
    sois drue,  âpre, rêche, ardue, hérissée
    Monte et bouillonne
    Déverse toi
    Lave les mots traînés dans la boue
    et les bouches putrides".

     

    Le poète évoque le pays, l'écriture,  "la mort palestinienne",  la sagesse des morts et leur refus du "petit jeu du souvenir", sa mère,  Adam et "la jungle du désir",  ces "loups" auxquels nous ressemblons, mais aussi la cathédrale de Bourges et la mosquée Al-Qaraouiyine, la mosquée de l'enfance,  le désespoir aussi :

     

    "Il me tient éveillé
    et somme toute m'aide à marcher
    aussi bien que la canne de l'espoir"

     

    Hymne à la vie et à l'amour, sa parole loue aussi, avec humour, les nuits blanches,  la coupe partagée et "l'arbre à poèmes" qui, bien vivant, se gausse "de l'éphémère et de l'éternel". Ses tourments donnent à sa prière "ses accents de vérité défiant la foi".
    Il faut écouter et entendre Abdellatif Laâbi

     

    "refaire avec les mots ce que les hommes
    ont défait avec les mots"

     

    Alors,

     

    "nous allons danser la danse
    des soleils qu'on nous a volés".

     

     

    La Différence, 2001 (1re édition : 1993), 92 p., 13,57 €

     

    Illustration: Zhao Bo

     

  • 18 poèmes

    Rana el-Khatib
    18 poèmes


    Rana el-Khatib est une Palestinienne installée aux États-Unis,  à Phoenix, en Arizona. En 2004,  elle publiait un premier recueil de poésie politique, intitulé Branded : The Poetry of a So-called  "Terrorist". Ce sont dix-huit de ces poèmes qui sont ici proposés aux lecteurs francophones. Ce livre s'ouvre sur, peut-être, le plus caractéristique et le plus universel de ce recueil : la dénonciation des assignations à résidences culturelles,  raciales ou autres qui, dans les États-Unis de l'après 11-Septembre,  peut prendre un caractère urgent.



    "Réduite à une brève déclaration,
    je ne suis pas signifiante.  
    Réduite à une menace,
    je suis pleine de haine.
    Réduite à un "Al" ou un "Abou"
    je suis perturbatrice.  
    Réduite à un tueur,
    je suis démoniaque.
    Réduite à un stéréotype,
    je suis marquée
    ."  

     

    Bien sûr Rana el-Khatib dit le drame palestinien :

    "je n'ai pas cessé d'avoir mal pour un peuple.  Mon peuple"

    Elle évoque la Naqba, l'exil, la mort, la peur, la misère. Plusieurs fois même, elle s'adresse directement à Israël ("Lexique du 'Juste'",  "Perspectives", "Courtier immobilier"  ou "Le Mythe subsiste").
    Pourtant, l'essentiel, et peut-être le nouveau, réside dans ce refus des stéréotypes et la désignation de ses vecteurs : les médias, les dirigeants politiques et peut-être même les perversions des sociétés modernes.  La poésie de Rana el- Khatib déconstruit les images, les mots, les représentations qui,  entretenant la plus parfaite ignorance  ("en liberté, l'ignorance est un choix"), masquent l'humanité derrières les slogans et les a priori,  condamnent, emprisonnent dans  "La grande toile des mots" les victimes elles-mêmes :



    "vos leaders élus
    vous alimentent de petites phrases.
    Votre opinion est définie
    par leur conception des droits."


    Les poèmes de Rana el-Khatib sont souvent d'une composition structurée, aux images simples et sombres. Le pessimiste ne concerne pas seulement l'issue du conflit israélo-palestinien ("Paix insaisissable")  mais l'espèce humaine toute entière comme le montre le poème "Continuum" qui dit l'éternel recommencement de l'histoire : victimes, indifférence, silence.  Triptyque conjugué au passé, présent et futur !


    Traduits de l'anglais (ÉU) par Gérard Jugant, La Courte Échelle/Éditions Transit (29, La Canebière, 13001 Marseille) 2004, 31 p., 8 €