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Littérature coréenne

  • L’Invité

    Hwang Sok-Yong
    L’Invité


    148821.jpgLa vie et l’œuvre de l’écrivain Hwang Sok-Yong montre le sens du voyage du vieux pasteur Ryu Yosop, installé depuis des années aux Etats-Unis, comme elles éclairent cette plongée dans le trou noir de la guerre de Corée. Le pasteur Ryu Yosop décide de retrouver les membres de sa famille dont il est séparé depuis des années et de revisiter son village natal en Corée du Nord. Le séjour ravive les souvenirs de l’exilé mais aussi les crimes et les responsabilités du passé. Comme s’impose aussi la nécessité du pardon. Le pardon pour la paix des morts et pour soulager la conscience des vivants des horreurs d’une histoire troublée et complexe où, comme l’écrivent les traducteurs dans une utile préface : « il n’y a ni juste ni coupable absolus ».
    En Corée, le pasteur retrouvera sa belle-sœur et son neveu, le fils de son frère Yohan qui vient de mourir aux Etats-Unis et dont, double symbole, il vient mettre en terre un morceau d’os qu’il emporte dans une « pochette de peau », porte-bonheur offert par une mendiante dans les rues de New-York avant son départ.
    Hwang Sok-Yong est né en Mandchourie en 1943. Ses parents s’y étaient réfugiés pour fuir l’occupation japonaise. Après un séjour de trois ans à Pyongyang, il a cinq ans quand sa famille s’installe en Corée du Sud. Hwang Sok-Yong est l’auteur de nombreux romans (la plupart traduits en français chez le même éditeur et réédités en 10/18). En 1989, il part pour la Corée du Nord. Si en Europe, cette année-là, le mur de Berlin s’écroule, franchir le 38è parallèle va lui coûter cher. On ne peut encore se jouer des frontières, physiques, idéologiques, culturelles et travailler au rapprochement des hommes.
    L’invité c’est la variole, cette maladie venue de l’Occident : « elle nous a été transmise par les barbares occidentaux, oui, c’est de ces pays où on croit à de mauvais esprits, qu’elle est venue. L’invité m’a pris mes deux aînés, alors tu imagines ce que je pense de leurs esprits occidentaux… Il n’y a pas de salut pour ceux qui renient leurs origines. ». L’invité peut aussi revêtir la forme de ces « mauvais esprits », toujours occidentaux :  les idéologies et les religions importées (marxisme ou protestantisme), la rivalité des grandes puissances qui prennent pour champ de bataille un autre pays, des hommes et des femmes qui deviennent, quels que soient leurs appartenances et leurs actes, les instruments et les victimes d’une histoire écrite par d’autres et pour d’autres. C’est la parole des sans voix que donne à entendre ici Hwang Sok-Yong dans un récit sombre et poignant de bout en bout, une polyphonie où se mêlent les voix des vivants et celles des morts, les voix des victimes et celles des bourreaux, les voix des partisans du Nord et celles des partisans du Sud.
    Pourquoi des hommes et des femmes vendent-ils leurs âmes à ces « invités » phagocytes ? Pourquoi se fabriquer des prétextes pour tuer, pour haïr, pour « haïr même les nôtres et nous mêmes » ? « Je me demande pourquoi, à l’époque, je tenais à tant de choses… » s’interroge Yohan, l’ancien bourreau. Le temps de la guerre finie, les « invités » ne quittent pas forcément les esprits. Hwang Sok-Yong montre aussi le danger d’instrumentaliser les mémoires et de robotiser les victimes par la production de discours et de mots « creux », sans significations. Comme si la guerre devait encore se poursuivre sous une autre forme. Comme si finalement les hommes, pour se rassurer, continuaient à ériger des frontières, au lieu de s’en jouer, au lieu de les franchir, au lieu de les abattre, pour aller à la rencontre de leurs semblables. À son retour dans le Sud, en 1993, Hwang Sok-Yong a été emprisonné pour cinq ans.

    Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, édition Zulma, 2004, 286 pages, 18 €