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Vingt Sonnets à Marie Stuart

Joseph Brodsky

Vingt Sonnets à Marie Stuart

 

Joseph-Brodsky.jpgComme l’indique André Markowicz dans sa postface, ces Vingt sonnets à Marie Stuart écrit par le prix Nobel (1987) en hommage à la reine écossaise sont nés d’une « absurdité » : deux ans après son expulsion d’Urss, en 1974 donc, Joseph Brodsky « se retrouve à Paris, au jardin du Luxembourg, en arrêt devant la statue de Marie Stuart. Comment le « kleine nacht moukjik » qu’il n’a jamais cessé d’être, puisqu’il est russe, a-t-il pu se retrouver là, et elle, Marie Stuart, qu’a-t-elle fait au bon Dieu pour finir en statue au Luxembourg ? – Les Vingt sonnets à Marie Stuart sont nés de cette absurdité ». Il faut ajouter que la royale figure, incarnée à l’écran notamment par l’actrice Zarah Leander, rappelle au poète quelques amours d’antan.

Avant d’évoquer quelques thèmes et figures poétiques du recueil, un mot sur une originalité éditoriale : cette édition quadrilingue offre aux lecteurs – et plus encore aux lecteur polyglotte – un jeu de miroir entre texte russe original et trois traductions : la traduction anglaise de Peter France revue par Joseph Brodsky soi-même, la traduction de Claude Ernoult, publiée aux éditions Gallimard, et celle d’André Markowicz. Fascinante initiative d’un livre imprimé tête-bêche qui voit le lecteur passer d’une traduction à l’autre, comparer les langues, s’arrêter sur les images et les émotions nées des mots et des rythmes propres à chacun. Les pulsations et les reliefs de ce recueil permettent de sentir, ressentir l’indispensable fonction du traducteur : comment à partir d’une langue autre, inventée, à partir d’une œuvre réinventée, originale, remonter à la source originelle, dans son fond mais aussi dans sa forme. Car pour André Markowicz, célèbre traducteur entre autres de Dostoïevski, les jeux avec les sonorités, la restitution des intonations, les transpositions des références (ici des russes aux françaises) sont mobilisés pour respecter, au plus près, la forme, « non pour s’écarter du sens mais, au contraire, pour le servir, parce que le texte est un tout organique, et qu’il n’y a aucun moyen de séparer la forme et le fond ». Fidélité d’autant plus recherchée que le choix du sonnet par Joseph Brodsky peut être reçu comme un hommage à ceux écrits par la reine décapitée mais aussi parce que le sonnet, « est pas excellence la forme de l’Europe ». Comme l’écrit l’éditeur, « le texte que le lecteur a sous les yeux est un vin miraculeux ». Autrement dit, « le vin de la traduction [n’est pas]  un vin coupé d'eau ».

Ces Vingt Sonnets à Marie Stuart parlent d’amour bien sûr. Ils évoquent aussi Paris, un Paris au passé et aux usages revisités par un exilé épris de liberté et de culture, et dont les bifurcations existentielles conduisent à s’interroger sur la marche de l’Histoire, sur l’Art et sur la mémoire. La prose, ramassée, populaire, gouailleuse, enivrée ou inquiète, ironique ou lyrique, mélancolique ou clairvoyante,  riche en fulgurances, sonorités et images, passe du clin d’œil au coup de gueule, du moqueur sourire à la franche rigolade, du sombre au tragique.

 

Extraits

« Je vous ai rencontrée, et, selon la romance / qui redonne la vie à un cœur trop usé, /j’ai retrouvé mon souffle avec plus de puissance. » (Traduction Claude Ernoult)

« Que vis-je ? Vous, et, vision divine, / vous qui ressuscitâtes le passé / en l’âme éteinte, je vous ai tressé / ce qui me reste d’une joie pouchkine, / et mes sornettes rustres, bien mesquines / bruissent pour votre buste et taille fine. » Traduction André Markowicz

***

« Et toi, Mary, « Ça va ? – Ça va. Sankion. », / cernée par tes copines de caillou, / tu trônes chez les capétiens imberbes. » (T. AM)

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« L’Ecosse eût fait un digne matelas / pour nos amours, je t’eûs montrée aux Slaves, / Glasgow se fût, étrave sur étrave, / vue russifiée en veux-tu en voilà. / Pour nous ensemble eût résonné le glas. / « La hache – en toc… » - Bourreau, tu es bien brave. » (T. AM)

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« La plaine. Le clairon. Deux hommes. Le fracas / du combat. – « Qui es-tu ? – Qui es-tu donc toi-même ? »/ - « Qui suis-je ? » - « oui, qui es-tu ? » - « Un protestant, mon gars. » / - « Moi catholique. » - « Ah ! Vlan ! Avale ton baptême ! »  (T. CR)

« La plaine. La trompette. Nuit d’effroi. / Entrent deux hommes. «  Toi, t’es quoi ? » - Clique- / tis des épées. – « En garde, catholique, / moi, je suis protestant ! » - « Or, gare à toi ! ». / Ensuite on en ramasse les reliques - / et les corbeaux croissant, croa-croa. »  (T. AM)

***

« Béliers qui tremblent qu’on leur ratiboise / leurs toisons d’or ne paissent pas en paix. / Les Écossais soumirent à leur toise / ta mort. Ainsi leurs bâtons se rompaient ; / - « Ben, ils lui ont coupé la tête… » - « Eh bè… / Paris leur fera bien payer l’ardoise… » / - « Paris ? Pour une tête ?... » - Rire épais. / «  C’est pour plus bas qu’ils chercheraient des noises. » / - « Mais pas un mec, quand même, et en tenue / légère… » « Y’a pas de quoi jeter l’opprobre. » / -«  ce que je pense était presque tout nu… » / -« Peut-être qu’elle avait pas d’autre robe… » / - « C’est mieux en Moscovie, ils ont la mode / de l’unisexe – ni vu ni connu. » (T. AM)

« - « Hélas, hélas, on lui a coupé la tête ! » / - « De Paris la colère est à craindre, dit-on. » / - « Mais qui donc à Paris d’une tête s’inquiète, / « C’était trop haut de fendre au-dessous du menton. »  (T.CR)

***

« Pour qui, Mary, t’aura fait ses adieux, / à toi – pas à n’importe qui – qu’importe / le pain sans sel et l’odeur de cloportes / des escaliers d’exil ? Tu auras mieux / senti que moi la joie d’être à la porte. / Si j’ai fauté, ne fais pas tes gros yeux. / Ma langue, comme un rat, en langue morte / cherche un semblant de vie à qui mieux-mieux. / Adieu, idole aux délices attraits. / on peut s’aimer de loin, sans doute, fût-ce / par-delà même les meilleurs barreaux / (l’éternité et l’océan, le vrai /de vrai – je pense à la censure russe / qui rend un luxe l’œuvre du bourreau).  » (T. AM)

 

Version originale russe, version anglaise de Peter France et de l’auteur, traductions françaises de Claude Ernoult (1987) et d’André Markowicz (2013). Postface d’André Markowicz, Les doigts dans la prose 2014, 192 pages, 18 €

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