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  • Le Dissident chinois

    Nell Freudenberger

    Le Dissident chinois

    nell_2294795c.jpgLe Dissident chinois aurait pu s’appeler Mensonges. Car davantage que la dissidence en Chine ou l’arrivée pour une année d’un artiste chinois dans une famille américaine de Los Angeles, c’est aussi de mensonges et de dissimulations dont il est question dans ce livre. Pour ce premier roman, l’auteure, new-yorkaise âgée de 35 ans à sa sortie en 2006, figura dans la liste des meilleurs jeunes espoirs de la revue Granta. Nell Freudenberger avait écrit un premier recueil de nouvelles, Lucky Girls, traduit en 2008 chez le même éditeur.

    L’histoire d’abord : la famille Travers s’apprête à recevoir, pour un an, Yuan Zhao un artiste et dissident chinois. On peut imaginer le grand écart culturel, les préjugés des uns et des autres, les quiproquos et le temps laissé pour s’apprivoiser. Yuan Zhao se présente comme un dissident chinois. Un ancien de Tien An Men et l’un des membres du mouvement artistique dit de l’East Village qui fit parler de lui au début des années 90 à Pékin en multipliant les performances et finit par être interdit par les autorités.

    In fine, entre les Travers et Yuan Zhao, il ne se passera rien de tangible. Comme si le quotidien des membres de la famille tourneboulée et celui de l’artiste énigmatique, professeur à l’école de filles St Anselm’s, filaient sur des rails parallèles. On se regarde gentiment. On s’observe avec bienveillance. A l’occasion, on se croise, mais de loin, sans échanges véritables. Le roman, sur ce point, laisse sur sa faim.

    Le récit s’articule autour de deux histoires parfaitement imbriquées mais sans lien réel. L’année américaine est rythmée par les déboires de la famille Travers, les désillusions de Cece, la maîtresse de maison et les ennuis de Yuan Zhao avec quelques unes de ses élèves et l’exposition qu’il est censé préparer. Le passé chinois de cet exilé offre, lui, l’occasion d’une formidable immersion au cœur du mouvement artistique pékinois de l’East Village.

    Du côté des Travers tout part à vau-l’eau : les gamins, le couple que forment Gordon, le père psychologue passionné de généalogie et passablement ennuyeux et Cece, son épouse, à qui incombe toutes les responsabilités parentales et les tâches domestiques y compris celle de s’occuper d’une envahissante ménagerie. Cece est amoureuse de Phil, le frère de son mari, lui-même incapable de se décider. Empêtré dans une relation avec une avocate new-yorkaise, Phil croit que ses scénarios intéressent les requins d’Hollywood. Quant à Joan, la belle-sœur, romancière sans succès, elle assaille le brave chinois de questions sur la Chine, son passé et son travail d’artiste.

    Le thème de la différence culturelle et de la rencontre n’est pas ou peu abordé par l’auteure. Ce qui remonte à la surface des existences ce sont les mensonges. Et les petits arrangements avec les représentations. La famille Travers est loin de correspondre à l’image de respectabilité et de conformité de l’American way of life, qu’elle s’efforce de rendre. L’hospitalité et la curiosité de la société américaine à l’endroit de cet exilé chinois restent engluées dans bien des préjugés culturels et des raccourcis. Yuan Zhao, lui-même, n’est pas en reste qui multiplie les mensonges sur sa personne et sur son passé. Mentir pour se façonner une nouvelle identité ou pour satisfaire à la doxa et à la bien pensance. En Chine, des années plus tôt, les parents de Yuan mentirent, eux aussi ; pour sauver leur peau.

    Yuan Zhao s’applique à recopier un rouleau intitulé « Liu Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai » de Zhao Cangyun, un artiste de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe. La peinture et l’art sont au cœur du roman. C’est d’ailleurs là que se niche l’un de ses intérêts majeurs : la plongée au cœur du mouvement de l’East Village, de ses performances artistiques, des débats qui le traversent et l’histoire qui relie ce « dissident » aux principaux animateurs du mouvement. « Liu Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai » de Zhao Cangyun constitue le fil rouge du récit. Son auteur serait resté anonyme n’était une inscription ajoutée par un inconnu. Cela rejoint-il l’interrogation moderne sur la propriété d’une œuvre ? La question traverse le roman car, quand l’argent entre dans la danse, de plus en plus lucrative, la question de savoir qui détient les droits sur les images devient pressante. Seraient-ce les artistes du groupe de l’East Village ou le photographe qui a immortalisé par ses clichés leurs performances artistiques ? De même, un fil semble relier l’expérience lointaine de Zhao Cangyun  à celle, dissidente et contestataire, des artistes chinois de la fin du XXe siècle. Enfin « Liu Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai » offre l’occasion d’une réflexion sur le retour de l’exilé : retour impossible des marcheurs du rouleau de Zhao Cangyun à celui, anticipé, de Yuan Zhao. Les masques seront alors tombés.

    Dans ses cours données à Los Angeles, Yuan Zhao rencontre June, une jeune élève d’origine chinoise. Là encore, les thèmes culturels et identitaires seront à peine évoqués, simplement esquissés. Entre le professeur enamouré et la jeune artiste séduite, l’amour se fraye un chemin sur fond de passion artistique.

    Les thèmes de la rencontre entre deux cultures, celui de l’exil et des identités sont peu développés dans le roman, laissant un arrière goût de regret, d’autant plus que le récit, long, n’est pas dépourvu de boursouflures.

     

    Editions Quai Voltaire/La Table ronde, 2010, 445 pages, 23 €