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Une affaire de viol

Chester Himes

Une affaire de viol

chimes2.jpgLe 4 février 1999 au petit matin, quatre policiers blancs de la police new-yorkaise abattaient de 41 balles Amadou Diallo. Les policiers ont plaidé la légitime défense, arguant qu'ils pensaient que la victime, un vendeur de rue de vingt-deux ans, d'origine guinéenne, dissimulait une arme. Les jurés (huit blancs et quatre noirs) ont retenu cette thèse. Verdict rendu le 25 février 2000 : l'acquittement. Selon Emma, une voisine de la victime : "C'est trop facile de dire qu'il n'y a que des criminels dans le Bronx et qu'ils méritent tous d'être abattus. La réalité, c'est plutôt que la police considère que tous ceux qui ont la peau noire sont des assassins ou des voleurs. Et le verdict ne fait que renforcer ces préjugés. Comment voulez-vous que l'on ait confiance dans les forces de l'ordre désormais ?"(1) Il était difficile de ne pas faire un lien entre cette affaire et le livre de Chester Himes, Une affaire de viol dont la traduction paraissait en France la même année.

Dans ce roman, une femme blanche appartenant à la riche société américaine est retrouvée morte dans une chambre d'hôtel, où elle avait rendez-vous avec quatre Noirs américains, dont l'un a été son amant. Comme les quatre policiers de l'affaire Diallo, la justice française - le récit se déroule à Paris en 1954 - ne doute pas : les quatre Noirs sont évidemment coupables. Les mécanismes idéologiques et les fantasmes sur la sexualité des Noirs, sur l'union d'une Blanche et d'un Noir et, ici, tabou absolu, d'une Blanche et de quatre Noirs, fonderont seuls l'accusation. "Rien n'impose à l'accusation, dans cette affaire, où les faits sont si clairs et les preuves si concluantes, l'obligation d'établir à quel mobile obéissaient les accusés".

Un écrivain noir américain, installé en France, décide de mener sa propre enquête. Sa thèse est simple : "Ils [les quatre accusés] avaient été condamnés à seule fin de démontrer que la race noire était une race inférieure." Mais lui aussi est victime de préjugés idéologiques et racistes, de frustrations et d'animosités personnelles, de sorte que son entreprise est vouée à l'échec.

L'auteur emprunte une autre voie. Toute la subtilité est de montrer ce qui agit sur les uns et les autres, ce qui motive, réellement, intimement, leur choix, décisions et jugements. En menant une étude serrée de la personnalité, du parcours socioculturel et psychologique des uns et des autres - les quatre accusés, la victime, l'écrivain -, l'auteur rompt avec ces idées reçues, ces certitudes idéologiques productrices de victimes. L'enquête prend alors en compte la singularité de chacun et restitue à la recherche et à l'étude des faits la première place, réintroduit le doute là où les certitudes condamnent a priori. "Tout homme, quelle que soit sa race, doit revendiquer sa part du fardeau, de la culpabilité du crime suprême de l'humanité : l'inhumanité de l'homme envers l'homme. Car telle est la vérité : nous sommes tous coupables", finit par écrire l'auteur. Peut-être. Il n'en reste pas moins vrai, encore aujourd'hui, aussi bien dans le roman de Chester Himes que dans l'affaire Diallo, que certains ne soupçonnent même pas qu'ils puissent être coupable de quoi que ce soit !

1)- Libération du 28 février 2000.


Traduit de l'anglais par Michel Fabre et Françoise Clary, André Dimanche Éditeur, coll. "Rive noire", 1999, 100 pages


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