Yasmina Traboulsi
Les enfants de la Place
La violence est au cœur de nos sociétés. Toutes les violences et toutes les sociétés. Pire la violence est consubstantielle à l’Homme. On aurait un peu tendance à l’oublier par les temps qui courent… C’est ce que montre ce roman que l’on pourrait présenter comme le pendant romanesque du livre du philosophe Yves Michaud paru en 2002 intitulé Changement dans la violence. Et les violences les moins médiatisées ne sont pas les moins dangereuses pour l’avenir. Ainsi, dans Les enfants de la Place, Yasmina Traboulsi montre comment les nantis des mégalopoles brésiliennes se réfugient derrière des enceintes de protection et des milices armées jusqu’aux dents pour ne pas avoir à se coltiner avec la misère ambiante et pour se protéger de la violence des « damnés de la terre ». Cette société à deux vitesses ne préfigure-t-elle pas un scénario d’avenir possible ? C’est aussi ce que montrait Yves Michaud.
De la Place à Salvador de Bahia à Sao-Paulo en passant par Rio de Janeiro, Yasmina Traboussi, née de mère brésilienne et de père libanais, écrit les destins tragiques de ces enfants de la Place. Ils ont rendez-vous avec la mort. Dans l’indifférence générale (à commencer par celle des touristes), avec la complicité des forces de l’ordre, ces mineurs (pour la société mais aussi devant la loi…) sont instrumentalisés par les caïds des favelas, enrégimentés dans des bandes rivales et violentes, rackettés par tous y compris par l’Eglise et/ou ses représentants, sans cesse sous la menace des bataillons de la morts ou des commandos de pseudo justiciers… Les enfants des rues brésiliennes ont bien peu de change d’échapper à une fin tragique et aucune d’éviter la peur, la haine et les violences diverses. Ces bas-fonds de la société brésilienne font froids dans le dos même si parfois le roman bascule dans l’irréel voir le conte de fée comme celui qui permet à la seule Ivone d’échapper à l’horreur des favelas (pour peut-être tomber dans un univers glauque et sordide, celui de la TV) ou la visite de la Gringa dans un pénitencier à la fin du récit.
Pour ce premier roman, Yasmina Traboulsi livre en séquences courtes et successives le portrait et les parcours des personnages qui finissent par former un tout composite où la tendresse, l’indifférence, l’amour, la haine, la peur dessinent les contours d’une humanité en péril. Par petites touches, la tension et la noirceur gagnent et envahissent un tableau que l’auteur a choisi pourtant de décrire avec une plume élégante, un brin enjoué et distancé
Edition Mercure de France, 2003, 164 pages, 15 €