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L’Islam et la mer. La mosquée et le matelot. VIIe – XXe siècle

Xavier de Planhol

L’Islam et la mer. La mosquée et le matelot. VIIe – XXe siècle

 

image_53098_v2_m56577569830559231.jpgPourquoi les musulmans sont-ils si peu présents sur la mer ? Pourquoi malgré des tentatives passées, des réussites éphémères, des vocations individuelles, des velléités califales, ont-ils finalement toujours échoué ? Si la chrétienté a triomphé de la mer, l’islam lui n’a pu s’y adapter. Cette phobie du pieux musulman pour la mer a privé l’islam des immenses profits tirés des découvertes transatlantiques qui ont constitué, pendant près de trois siècles, le fondement de la fortune européenne. Elle est peut-être même largement responsable du « déclin de l’islam ». Toutes les grandes civilisations ont connu cette crainte de la mer. Mais si, selon Xavier de Planhol, la chrétienté ou les Etats à base continentale comme la Chine ou la Russie ont réussi à vaincre cette répulsion, l’islam n’y est jamais parvenu malgré des volontés et une prescience de son intérêt qui naissent tôt dans l’histoire de cette civilisation.

Mo’awiyya, le futur fondateur de la dynastie omeyyade et alors gouverneur de la Syrie, fait figure en ce domaine de pionnier. Dans un échange de correspondance avec le calife Omar, il tente de convaincre ce dernier de l’intérêt d’attaquer « les îles du Levants ». En vain.

Malgré le désintérêt notable du Coran pour la mer et la réponse fondatrice du deuxième calife, des vocations maritimes naîtront pourtant en terre d’islam. Vocations sans lendemain, exceptionnelles donc et d’autant plus remarquables : depuis la victoire en 655 à « la Bataille des Mâts » qui ouvre la Méditerranée aux Musulmans ou la « carrière » de Bosr ibn  Abî Arta’a, compagnon du prophète « monté sans doute pour la première fois sur un navire aux environs de la quarantaine, qui sera le premier amiral des flottes musulmanes à les conduire jusque sous les murs de Byzance, avant de revenir mourir à Médine, presque centenaire, en 705 » jusqu’aux réformes de la marine ottomane entreprises par le sultan Selim III à la fin du XVIIIe siècle.

L’islam aurait pu s’appuyer sur les traditions maritimes persanes ou même arabes. Il n’en a rien été. Pire, il aura fallu six siècles pour que s’éteignent, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, les traditions persanes. Idem pour les marins arabes présents dans les mers du sud et dont l’existence a été rapportée par de très rares textes d’Ibn Madjid et de Soleïman Al Mahri. Cette tradition maritime, proprement arabe, a fini de disparaître au fil des siècles, au point qu’il y a peu encore, les navigateurs koweïtiens étaient incapables de naviguer depuis l’Afrique jusqu’à l’Inde - ce qu’en passant par le large, leurs lointains aïeux faisaient au XVe siècle...

Comme le montre l’auteur, le cas n’est pas isolé. Parmi les peuples marins qui se sont détournés des horizons du grands larges, figurent les Andalous qui « jusqu’à l’époque des Almohades inclusivement, avaient eu, par exception, un embryon de « culture maritime ».

Pour Xavier de Planhol, la réponse à la question de savoir pourquoi l’islam a échoué sur mer ne relève pas de l’étude historique mais fondamentalement de la géographie humaine c’est-à-dire de l’étude des représentations. Le phénomène serait culturel : la figure du matelot s’oppose à celle du pieux musulman. L’idéal de l’islam est une vie pieuse et sédentaire, rythmée par des prières quotidiennes et régulières, de préférence dans une ville où les fidèles de Mohamed peuvent se rassembler et prier en commun. Rien à voir avec la vie aventureuse et instable du matelot. L’auteur rappelle que musulman signifie « soumis à Dieu ». Entre l’idéal de soumission du musulman et l’idéal d’affranchissement du marin - « Hommes libres toujours tu chériras la mer » rappelle la quatrième de couverture - il y a un fossé ouvert au mieux par l’indifférence au pire par l’hostilité de l’islam à la mer.

Les relations des voyageurs musulmans n’arrangent rien à l’affaire. Là où le Chrétien finit par taire les désagréments des voyages en mer, le passager mahométan en rajoute sur l’inconfort et les conséquences peu ragoûtantes des houles marines. Jusqu’au célèbre géographe du Xe siècle, Moqaddasi qui, avec sérieux, décrète que la mer « choisissait, particulièrement, pour déchaîner son tumulte, la nuit précédant le vendredi, jour sacré des Musulmans ».

Voilà qui n’a pas aidé à vaincre les peurs et les fantasmes d’une société où, autre fait d’exception, la culture savante ne s’est pas appropriée le savoir technique des quelques marins arabes qui croisaient encore au large des mers du sud quelque six à sept siècles après la révélation. La société des lettrés de Bagdad ou du Caire ne s’est jamais intéressée aux gens de mer. Au contraire, la littérature géographique de la grande époque classique a été envahie par des contes, légendes et autres histoires invraisemblables de sorte que les géographes musulmans perdent toutes connaissances précises de ces régions et des mers lointaines laissées au « monstres » et aux traditions populaires.

La société ottomane sut pourtant se doter, au XVIe et XVIIe, de la plus puissante flotte du monde. Mais, tout au long de leur histoire, les Turcs se sont appliqués à reconstruire une flotte qui, par négligence, tombait régulièrement en pourriture ou qui était détruite par l’ennemi comme à Lepante en 1571. Il a fallu attendre le milieu du XVIIe siècle pour voir les réparations des galères prendre le pas sur les travaux de (re)construction dans les arsenaux. Cette émergence d’une idée de pérennité maritime sera pourtant bien relative. À la mort de Selim III, ses tentatives de réformes de la flotte ottomane seront vite oubliées au point que la flotte turque ne pourra s’opposer aux Grecs en guerre pour leur indépendance.

Quid de la La Course alors et de ces barbaresques maîtres des flots méditerranéens ? Point d’exception ici encore : Xavier de Planhol montre qu’à Alger ou à Tunis, sur cinq commandants de galères à la fin du XVIe et au début du XVIIe, quatre sont des renégats ou des fils de renégats ! Décidément l’islam et la mer ne font pas bon ménage !

 

Edition Perrin, 2000, 660 pages, 28,81 Euros

 

Illustration :

Fâlnâmeh : l'imam Rezâ pourfend un dîv (Vers 1550)

L'imam Rezâ, ici à cheval, protège les hommes durant leurs voyages sur mer. Pour délivrer l'homme attrapé par le dîv, le maître des espaces marins, il le transperce de sa lance. Les petits personnages nus représentent les hommes livrés aux périls de la mer.

 

 

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