Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La poésie marocaine. De l’Indépendance à nos jours

Abdellatif Laâbi
La poésie marocaine. De l’Indépendance à nos jours


Abdellatif_Laabi.jpgLe poète et romancier Abdellatif Laâbi  propose de découvrir plus de cinquante poètes marocains contemporains, parmi lesquels une douzaine d’auteurs francophones, deux berbérophones et sept femmes. La poésie marocaine, comme de manière générale la littérature nord-africaine, trop souvent reléguée à la marge, demeure peu ou pas connue malgré sa vitalité et l’importance de ses thèmes.
Dans une utile introduction, Abdellatif Laâbi brosse un tour d’horizon de cette poésie remontant loin dans le temps pour arriver à la jeune expression poétique ouverte sur le monde et l’universel en passant bien sûr par le temps de la résistance au colonialisme et celui de l’après indépendance marqué par la revue Souffles qu’Abdellatif Laâbi connaît bien pour en avoir été une des principales chevilles ouvrières.
Selon l’auteur, lui-même ancien détenu d’opinion dans les geôles de Hassan II, les intellectuels marocains auraient représenté « un pôle de désobéissance éthique et de résistance sans faille à l’arbitraire. » La spécificité de la poésie marocaine par rapport à la longue tradition du vaste monde arabe serait de ne pas avoir prospérée à l’ombre du pouvoir mais de s’être résolument installée dans le camp de la contestation sociale et politique, dans le camp de la liberté. Choix (ou conséquence) imposé par un pouvoir qui - à la différence du grand voisin aux prétentions révolutionnaires et aux illusoires promesses d’un avenir radieux - ancrait sa légitimité dans la tradition et la religion. Comme le dit Ahmed Bouanani :

Autrefois
à la mémoire des poètes
on élevait des statues en or
Chez nous

par charité musulmane
on leur creuse des tombes
et nos poètes
la bouche pleine de terre
continuent de crier


Autre particularité, cette fois sans doute partagée avec l’Algérie, la poésie marocaine est une poésie plurilingue riche de trois langues : arabe populaire, français et berbère. Une poésie qui traduit ainsi une réalité linguistique, historique et sociologique, largement admise aujourd’hui après les débats houleux des années 60 qui serait, selon l’auteur, d’autant mieux partagée qu’elle repose sur la conviction que « derrière la question linguistique, se [profile] un autre enjeu : la construction d’une société démocratique assumant pleinement son pluralisme ». Et peut-être une identité « orpheline » sans cesse et en vain en quête d’elle-même :

peux-tu défigurer l’ennemi de classe
sans emprunter ses traces ?
peux-tu te retourner

contre tes propres mirages ?
tout le monde chérit l’identité
tout le monde cherche l’origine
et moi j’enseigne le savoir orphelin
erre donc sur les chemins
sans te confondre avec l’herbe

(Abdelkébir Khatibi).

Enfin, « (…) l’expérience de la poésie marocaine d’aujourd’hui mérite d’être amplement méditée. Elle nous permet notamment de garder l’optimisme face aux prophètes de malheur qui nous promettent la guerre des civilisations (…). Elle est en tout cas le signe éclatant de la modernité qui est à l’œuvre dans une société que d’aucuns ne savent regarder qu’à travers le prisme déformant du péril intégriste. » Là est peut-être le plus regrettable et le plus dommageable de cette ignorance et parfois condescendance du Nord à l’endroit du Sud, de l’Europe envers le pourtant si proche septentrion africain : se priver certes d’une littérature humaine, réjouissante et au fait des grandes questions du siècle, mais surtout hypothéquer une communauté de destin à coups de « chocs des civilisations » ou d’« immigration choisie ». Mais là encore le poète n’est pas en reste :

Pour que vous doutiez encore plus de nos origines
nous vous proposons des corps pour les usines-salut-de-l’humanité
sans ablutions
des corps tranquilles sur le sable les bureaux de placement
des corps tannés
l’histoire tuberculeuse
nous autres les chiens les perfides
nous autres au cerveau paléolithique aux yeux bigles
le foie thermonucléaire
des corps avec des tablettes en bois où il est écrit
que le sous-développement est notre maladie congénitale
puis m’sieur
puis madame
puis merci (…)

(Mostafa Nissabouri)


Edition La Différence, 2005, 267 pages, 20 euros

Les commentaires sont fermés.