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Redemption song

Alex Wheatle

Redemption song

 

wheatle.jpgLondres. Cités du sud de la capitale. Au cœur de la communauté immigrée jamaïcaine. Dans ce magma urbain où le désœuvrement et l'absence de future colle à la peau, émerge la figure de Biscuit. Le jeune ado traîne sa misère entre deal, braquages  en tout genre, rivalités des bandes hostiles, terreur des caïds, racisme du National Front et violences policières. La tension dans le quartier est extrême, Brixton est prêt à exploser. Biscuit décompresse à coup de fumette avec les copains et de soirées reggae, à l'écoute des DJ des Sounds systems qui appellent leur auditoire à la résistance.

Ce Raskolnikov du South London est plutôt un brave type, tiraillé entre une mauvaise conscience et la nécessité de ramener de l'argent à la maison : "Ouais je sé. Mé faut bien survivre, man. On cause de l'avenir, mé moi faut que je paye au présent. J'aime pas voir ma mè moi sans le sou". Biscuit aime et couve sa famille, Hortense sa mère, Denise sa sœur et Royston son petit frère. Famille monoparentale en proie au chômage et à l'exclusion comme la majorité des autres foyers de Cowley, "la cité HLM la plus moche du secteur". Biscuit est amoureux de Carol. Elle aimerait bien voir son petit ami arrêter ses plans foireux et signer pour un bien hypothétique contrat d'insertion professionnelle. Biscuit désire la contenter et ne pas décevoir sa famille. Non seulement l'adolescent est en proie aux doutes quant à son devenir, mais voilà que Denise, en froid avec sa mère plutôt indifférente, a quitté le domicile familial pour rejoindre Nunchaks, la plus belle crapule du secteur : un dealer, proxo et plutôt violent. Pour épancher sa conscience malade et sa culpabilité, Biscuit ne trouve pas le réconfort à l'église mais du côté du reggae et des prêches de Nelson, un vieux rasta borgne un brin philosophe… La rédemption  ne viendra pas du pasteur Thomas mais de Bob Marley : la pensée rasta, mélange d'une prise de conscience identitaire et de la nécessité de s'instruire, plutôt que la religion.

Alex Wheatle décrit le quotidien de ces populations à quelques jours des émeutes qui embraseront le quartier. Description sociale et identitaire de l'intérieur qui montre les impasses dans lesquelles se trouve une communauté d'origine immigrée marginalisée. Le tableau est loin d'être univoque et c'est sans doute l'intérêt de ce roman. Wheatle décrit avec force les processus d'exclusion à l'œuvre et le racisme qui gangrène la société mais il pointe aussi les dérives engendrées  par cette situation chez les jeunes : la délinquance  qui commence de plus en plus tôt, les ravages de la drogue ou de l'alcool. Le grand mérite d'Alex Wheatle est de  complexifier et d'humaniser le regard porté sur les habitants de ces cités. Au côté des gamins qui se radicalisent, versent dans la violence ou dans une fermeture communautaire anti-Blancs, ou de ceux qui tombent définitivement dans la délinquance et l'argent plus ou moins facile, Alex Wheatle brosse le portrait d'une génération en proie aux doutes, désorientée et dans le désarroi : "putain, qu'est ce que je vé bien pouvoir foutre ?" se demande Biscuit. Mais cette génération est aussi une génération qui cherche à s'en sortir. Refusant les offres piégées et les impasses de la grande Babylone, elle décide de "prendre ses distances par rapport à la maboulerie ambiante" autrement dit, de se battre pour s'en tirer. Comme le dit Nelson à Denise : "Tu é jeune, tu as besoin de trouvé lé solutions en toi. L'enseignement t'y aidera é aussi la connaissance de notre grande belle histoire".

Alex Wheatle est lui-même né en 1963 à Brixton. À la différence de Biscuit, il ignore presque tout de sa famille jamaïquaine. Il n'a jamais connu sa mère et n'a rencontré son père qu'à l'âge de vingt-trois ans. L'enfant des quartiers sud de Londres, ballotté d'orphelinat en orphelinat et de famille décomposée en famille décomposée,  a commencé à écrire au début des années 80 en envoyant des lettres de soutien à des amis qui se trouvaient en prison. Redemption Song est une histoire qui tient de bout en bout en haleine, écrit avec brio, aux dialogues toujours justes et qui s'appliquent à restituer le langage parler des jeunes jamaïquains de Londres.  De ce point de vue, la traduction  de Nicolas Richad est sans doute une réussite. Il a publié six romans : Brixton Rock (1999), East of Acre lane (Redemption Song) qui a reçu le prix London Arts Board New Writers, 2001, The Seven Sisters (2002), Checkers with Mark Parham (2003), Island Songs (2005, traduit en français au Diable Vauvert en 2007) et The Dirty South (2008). Alex Wheatle donne à lire une littérature sociale de haute tenue, qui ne cède jamais aux facilités de l'engagement militant. À lire de toute urgence pour cesser de diaboliser (sans idéaliser !) une jeunesse qui a sans doute plus besoin d'aide et de perspectives que de répression musclée et de suspicion entretenue.

 

Traduit de l'anglais par Nicolas Richard. Edition Au Diable Vauvert 2003, 355 pages, 16,50 euros

 

 

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