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guerre d'algérie

  • L'écho du silence

    Jean-Pierre Robert
    L'écho du silence


    9782070763382.gif"Non, toute cette souffrance n'avait pas pu sortir et il ne savait pas pourquoi. Peut-être parce qu'il pensait déjà qu'il faudrait repartir et qu'il ne fallait pas faire de peine en disant sa peine à lui, peut-être aussi parce qu'il sentait que de toute façon le père n'était pas prêt à l'entendre."
    "Pas prêt à l'entendre" !, le père... pas plus que sa fiancée, d'ailleurs : "À elle non plus, il n'avait pas pu parler. Elle lui semblait trop loin de lui, inaccessible dans ses rêves d'enfant." Entendre quoi, d'ailleurs ? Les récits d'une guerre sans nom dont la majorité des Français de métropole n'avait fichtre rien à faire ?! Les crimes et abominations commis par l'armée au nom du « maintien de l'ordre » ou de la « pacification » ? Mieux valait rester loin de tout cela ! S'interroger sur la présence française en Algérie et triturer "nos" mentalités travaillées par cent trente deux ans de colonialisme ? Allons allons, il y avait mieux à faire que perdre son temps pour ces "indigènes" : ils veulent leur indépendance, qu'on la leur donne et basta ! Alors, "le Dégonfleur", en permission dans sa famille, s'était tu. Lui, comme des milliers d'autres de son âge. Avoir vingt ans dans les Aurès ! Une nouvelle fois, l'écho de ce long et lointain silence s'échappe des blessures. Une mémoire toujours tourmentée laisse remonter à la surface des souvenirs jamais disparus.
    Dans ce premier roman, Jean-Pierre Robert revient donc sur cette douloureuse page de l'histoire nationale. Nous sommes en 1961. Au cœur du massif des Aurès. Tournant le dos au manichéisme, la structure romanesque met en vis-à-vis tout au long du récit deux personnages. L'un est Français, le Dégonfleur, l'autre est Algérien, on l'appelle "l'homme de Nara" - du nom de son village rasé par l'armée française - et aussi "l'Absent". Il ne dit plus rien et ne voit plus rien parce que "les Français lui avaient brûlé les yeux, [et] les djounouds lui avaient arraché la langue". Le Dégonfleur et l'Absent seront entraînés dans cette guerre, malgré eux. Ils en seront aussi les victimes. Pas celles tombées au champ d'honneur. Non, seulement celles, plus nombreuses, qui, en France mais aussi en Algérie, tairont leurs souffrances. Souvent, dans ce dernier pays, les souffrances se doublent de l'injustice. Car les exactions, les tortures, la justice expéditive ne sont pas le seul fait de l'armée française - ici des bérets verts de la Légion ou des harkis représentés entre autres par "l'Enfant". Elles sont aussi de l'autre côté, et une juste cause ne peut absoudre les mauvaises actions.
    Jean-Pierre Robert décrit la vie à la caserne, l'ambiance faite d'ennui, d'attente, de petites et de grandes compromissions, de solitude, de nuits "sans rêve", de peur et de mort. Avec le Dégonfleur, il y a le caporal, cet ancien étudiant gauchiste de la Sorbonne qui cherche "à sauvegarder un peu de sa dignité perdue" ; il y a aussi le caporal-chef, qui n'est pas loin de la quille. Ensemble, ils seront témoins de tortures infligées à des prisonniers. "On savait bien que près du PC, dans l'officine du sergent harki, les interrogatoires n'étaient pas tendres. [...] Comme on n'y pouvait rien, on n'en parlait pas et d'ailleurs on préférait ne pas trop savoir." À Alger, tandis que les généraux font leur putsch, Jean-Pierre Robert tire une salve contre ceux qu'il appelle "les brailleurs" ou "les excités d'Alger" : "Dans la belle ville blanche, au bord de la Méditerranée si bleue, les vrais Français gueulaient leur enthousiasme guerrier, et ils avaient bien raison, ces héroïques civils qui ne risquaient rien." À la caserne, les officiers se déballonnent, les postes de radio grésillent, la troupe discute, les subalternes prennent les choses en main, et la légalité républicaine triomphe, "et au commando, on se disait que ça valait mieux comme ça". La guerre se poursuivant encore un temps, l'auteur montre les horreurs, dit les tortures, ne cache rien semble-t-il des exactions. Il faut en passer par là pour faire comprendre au lecteur "le mal" et "la honte" ressentis. "C'est pour des choses comme cela que les soldats, dans les guerres, ils n'écrivent rien d'intéressant à leur famille et qu'après, ils ne parlent pas". Pour ceux qui ont souffert, la paix est "une nouvelle souffrance, un nouveau coup qui coupe le souffle et fait perdre la tête. Parce que tout ce qui a été subi et qui a fait si mal devient tout à coup inutile et ridicule. [...] Il y a de quoi devenir fou. Beaucoup se protègent en faisant semblant, semblant d'oublier, semblant d'être heureux, et ils essaient de vivre. Mais pas tous. Il y a ceux qui ne peuvent pas et dont la tête éclate."

    Edition Gallimard, 2002, 222 p., 15 €

  • L'Affaire Bellounis, Histoire d'un général fellagha

    Chems Ed Din
    L'Affaire Bellounis, Histoire d'un général fellagha. Précédé de Retour sur la guerre d'Algérie par Edgar Morin


    OL476819M-M.jpgQui se souvient encore de cet épisode de la Guerre d'Algérie? Qui se souvient de ce « général », militant messaliste de la première heure, monter au maquis,
    chef d'un groupe MNA qui, entre avril 1957 et mars 1958, passera un accord avec l'armée française pour « pacifier » l'Algérie c'est-à-dire débarrasser le pays de l'ALN ?  Pourquoi Bellounis passe t-il cet accord verbal avec les autorités locales? Quels en étaient les termes ? S'agissait-il d'une ruse de guerre du militant indépendantiste ? D'un ralliement voir d'une trahison?
    Pour une partie de la gauche française de l'époque, il ne faisait aucun doute que Bellounis était un traitre. La mémoire en a conservé quelques stigmates. A lire les références historiques sur cette affaire, force est de constater qu'à de rares exceptions (notamment Bernard Droz et Evelyne Lever, Histoire de la Guerre d'Algérie, éd. Seuil, Points Histoire, p.108) l'historiographie voit en Bellounis un traitre (Mohamed Harbi, Le FLN mirage et réalité, Les éditions Jeunes Afriques, 1980 réédition, 1985, p. 151,157 et 161) ou, un maquisard messalite qui « rejoint directement l'armée française » (Benjamin Stora, La Gangrène et l'oubli, éd. La Découverte, 1992, p.143 ou Histoire de la guerre d'Algérie, éd. La Découverte, 1993, p.36).
    Le document que publient les éditions de l'Aube apporte un tout autre éclairage. Il a été rédigé en 1959 par un auteur anonyme. Cette pièce a versé au dossier de l'histoire de cette guerre et notamment des rapports MNA-FLN mérite l'attention pour une double raison : il s'agit du seul document qui, de l'intérieur même du groupe Bellounis, relate cet épisode; ce texte brille par le souci d'objectivité et de rigueur de son auteur qui, d'entrée et fort honnêtement, place le lecteur dans une position critique : « posons clairement que outre que, tout en se réclamant de la plus complète objectivité, nos sources sont unilatérales ».
    Le document montre comment au début de l'année 1957, le groupe Bellounis, confronté à la fois à une offensive du FLN et à des actions répétées de l'armée française, est au pied du mur. Seules deux portes de sorties se présentaient alors : se rallier à l'armée française ou se rallier au FLN. Hostile - pour nombre de militants et maquisards messalistes il s'agit d'un euphémisme -  aux « frontistes » et à leurs desseins hégémoniques, sans doute aussi quelques peu mégalomane ou naïf, Bellounis échafaudera une autre solution. Bellounis qui « avait une très haute opinion de sa personne » écrit non sans malice le rédacteur de ce document « en vint à l'idée de traiter avec la France de puissance à puissance » (sic). Ce qu'il propose aux autorités militaires ce n'est pas un ralliement mais une sorte de trêve. « Bellounis n'avait quant à lui     aucun doute sur l'inestimable chance qu'il offrait aux Français en leur proposant un pacte. Il se considérait suffisamment pour cela » note l'auteur...
    Et voilà donc Bellounis et son armée, - l'ANPA - qui reçoit des autorités françaises armes, munitions, argents, médicaments.... En contrepartie l'autoproclamé général  s'engage à lutter contre le FLN mais aussi à ne déposer les armes « qu'après la solution du problème algérien ».
    Dans sa stratégie qui consiste à mettre en place des contre-maquis aux maquis de l'ALN, l'armée française réussira avec Bellounis autrement mieux qu'avec l'épisode kabyle des Iflissens qui s'est soldé en 1956, pour les autorités coloniales par un désastre (voir Camille Lacoste-Dujardin, Opération oiseau bleu, La Découverte, 1997).
    Certes, d'une centaine d'hommes en mai 1957, l'armée de Bellounis comptera au début de l'année 1958 près de 8 000 hommes, armés, encadrés et, si l'on en croit le rédacteur de ce document, convaincus qu'un jour ou l'autre il faudra bien « remonter au djebel » et reprendre la lutte pour l'indépendance, c'est à dire mettre un terme à cet accord qui n'est qu'  « une mise en veilleuse » de la lutte contre la France.
    L'armée de Bellounis respectera - en partie seulement - les termes de l'accord. Ses rapports avec les autorités militaires seront marqués par la méfiance et une tension, perceptible dès septembre 1957. Les pressions de l'armée française seront continuelles et croissantes, au point qu'en mars 1958 Bellounis ordonne à ses hommes de reprendre le maquis.
    Il semble que l'échec de Bellounis - qui trouvera la mort en juillet 1958 au cours d'un accrochage avec une unité française - soit moins liée à la réaction française qui passe à l'offensive le 21 mai 1958 contre un groupe de Bellounis, qu'à l'incapacité du « général » messaliste à gérer politiquement les fruits d'un montage militaire qui dans un premier temps et sur le terrain sert ses intérêts. Il ne saura jamais faire valoir l'intérêt de son « bluff » à la direction du MNA et à Messali Hadj en premier lieu qui, suspicieux, croient à l'existence de clauses secrètes et refusent de se prononcer sur cette expérience. Insuffisance politique aussi, face à une dissidence menée par l'un de ses hommes à laquelle il opposera une politique d'épuration là où sans doute la conciliation lui aurait permis de maintenir intact  son armée et ses forces.
    Honneur aux vainqueurs, malheur aux vaincus. Le FLN ne s'est pas privé d'exploiter cet épisode de sa guerre contre le MNA. C'est ce que rappelle Edgar Morin dans sa présentation. Après la liquidation physique des hommes du MNA, la propagande du FLN va procéder à la liquidation morale d'un mouvement qui avait sans doute les mêmes ambitions monopolistes : « les messalistes furent traités par le FLN de traitres, policiers, collaborateurs des Français, et beaucoup d'intellectuels français de gauche en demeurent encore persuadés ».
    Edgar Morin dit n'avoir jamais renoncé à ce « devoir de restitution historique » depuis cette année 1959 où, de « façon mystérieuse »  ce texte lui parvient à Paris. A l'époque, celui qui participa à la création du Comité des Intellectuels contre la guerre en  Afrique du Nord ne pu publier ce texte : « montrer que les gens qui combattaient pour l'indépendance algérienne n'appartenaient pas tous au FLN perturbaient le manichéisme de guerre (...). Il y avait bel et bien une mythologie FLN et celle-ci écartait tous les éléments gênants qui pouvaient la contredire ».
    Dans sa présentation Edgar Morin ne se contente pas de contribuer au rétablissement de la vérité historique et partant à montrer la complexité de la Guerre d'Algérie. Non, il fait un parallèle entre cet épisode et la situation de l'Algérie de la fin des années 90.  

    Edition de l'Aube, 1998