Marguerit Abouet et Clément Oubrerie
Aya de Yopougon
Il faut aller faire un tour du côté de l'Afrique de Marguerit Abouet pour le texte et de Clément Oubrerie pour les dessins. La série est riche aujourd'hui de cinq albums dont le dernier est sorti en novembre 2009 et la premier, Aya de Yopougon, en 2005. Ce premier volume reçu le prix du Premier Album au festival de la BD d'Angoulême . Ici, à travers le quotidien de trois jeunes filles, les auteurs donnent à voir non pas une Afrique heureuse, car les inégalités criantes et les combines pour s'en sortir ne sont pas cachées mais, à tout le moins, une Afrique éloignée des clichés et des antiennes sur ce continent misérable, martyre et mal parti...
À Yopougon, quartier populaire d'Abidjan, Aya, dix-neuf ans et sérieuse, fait des études pour devenir médecin. Pas question pour elle de finir en "série C" : "coiffure, couture, chasse au mari". Rien à voir avec ses deux amies, Bintou et Adjoua, qui "décalent" (dansent) et "gazent" même (s'éclatent) dans les "maquis" (resto en plein air où l'on peut danser). Là, elles "gaspillent l'argent" de quelques "génitos" (jeunes hommes qui justement ont de l'argent) et, la nuit venue, elles fréquentent en douce "l'hôtel aux mille étoiles" : la place du marché, où les tables sont utilisées pour se bécoter à qui mieux mieux. Mais voilà, à ce jeu, Adjoua se fait "enceinter"... C'est gai, léger, coloré, pleins de détails croustillants et en prime les auteurs offrent un utile lexique et quelques revigorantes recettes comme celle du gnamankoudgi (jus de gingembre). Au dernière nouvelle un long métrage d'animation serait en préparation.
Gallimard, 2005, 105 p., 15 €
BD - Page 2
-
Aya de Yopougon
-
Moi, Dieu merci qui vis ici
Thierry Lenain et Olivier Balez
Moi, Dieu merci qui vis ici
Après Wahid paru en 2003 chez le même éditeur, Thierry Lenain et Olivier Balez publiaient Moi, Dieu merci qui vis ici, un texte et des illustrations trempés dans le même bain, celui de l'humanisme et du refus de l'indifférence. Tous deux vont à l'essentiel, droit au cœur et à l'intelligence.
Dieu merci est un gamin angolais pris dans la tourmente de la violence. Orphelin, blessé, il sera séquestré par des militaires. Riche d'un seul viatique, une formidable énergie vitale héritée de son grand-père, il fuit pour survivre. Il parvient à gagner la France où, quelles que soient les vicissitudes de son quotidien, il est au moins vivant. Sans papiers, il se retrouve sans toit et sans rien à manger. Mais Dieu merci n'appartient pas à cette « foule de têtes baissées trop habituées à se presser ». Aussi saura-t-il entendre l'appel d'une vieille femme dans le besoin.
L'illustration, aux allures d'affiches illustrées, naïve en apparence, est constituée d'aplats de couleurs qui occupent toute la page voir la double page. Les dessins sont colorés, les contours marqués. Les couleurs sont simples mais précises et choisies : l'Afrique chatoyante de la princesse Nzingha s'efface sous les ocres, le rouge feu, les tons sombres, mordorés ou noirs, de la guerre, de la peur, du danger, de la solitude ; le blanc est celui de la vie, celui de l'infirmerie, celui de la vieille dame sauvée par Dieu merci, celui de la survie aussi ; le bleu de la traversée précède le retour de ce même ton brun qui dit la solitude de Dieu merci, allongé sur un banc public dans une France colorée, paisible mais indifférente.
Il n'y a pas - heureusement a-t-on envie d'écrire - de « happy end » qui fermerait la porte à la réflexion et à l'imaginaire. Bien au contraire. Si le destin de Dieu merci n'est pas tragique, il n'est pas pour autant sans ambiguïtés. C'est dans les non-dits du texte, les subtilités du dessin que se nichent les failles de l'existence et du monde.Edition Albin Michel Jeunesse, 2008, 13,50 €