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Rêves oubliés

Léonor de Récondo

Rêves oubliés

 

Leonor-de-Recondo1--672x359.jpgC’est avec beaucoup de pudeur et de délicatesse que Léonor de Récondo décrit comment l’Histoire transforme les corps et les âmes d’une famille de réfugiés espagnols. Après avoir été hébergé à Hendaye par Mademoiselle Eglantine, cette famille qui fuit une mort certaine va se terrer, anonyme, dans une ferme des Landes. Il y a là Ama et Aïta, la mère et le père, leurs trois enfants, les grands parents et les oncles. Léonor de Récondo raconte au plus près du quotidien, un quotidien qui du jour au lendemain a volé en éclats et que l’Histoire, c’est-à-dire l’exil, le camp d’internement de Gurs, l’Occupation…, va continuer de triturer, d’oppresser jusqu’à recracher des êtres abimés, privés à jamais d’une part d’eux-mêmes.

La réussite de ce court texte tient au style : pudique, tout en retenue, linéaire sans jamais être plat. Des mots simples, des phrases courtes et un rythme harmonieux traduisent la fragilité de ces existences sur qui pèse le poids d’une menace, diffuse mais permanente. L’incertitude court du début à la toute fin du roman.

Léonor de Récondo n’évoque le bruit et la fureur de l’Histoire que pour mieux saisir en quoi et comment ils bouleversent les corps, changent les caractères, ouvrent des failles jusque-là inconnues, obligent au renoncement, à l’abandon. Les corps se recroquevillent, les mains rougissent, deviennent rugueuses, se couvrent de crevasses et d’eczéma. Il faut savoir gravir de nouveaux chemins, s’adapter, apprivoiser la solitude et les angoisses, survivre, avancer, encore et toujours, avec au-dessus de la tête une épée de Damoclès : le drame est là qui, comme l’éclair, peut s’abattre et pulvériser le peu qui reste. Ce qui reste ? Seulement la vie ! et le fait d’être encore « ensemble » malgré « ces temps orageux et glacials ». Il faut survivre.

Trois générations se retrouvent donc dans cette ferme. Trois générations et autant de façons de vivre la peur, la honte, la culpabilité et la nostalgie. Trois regards sur le monde, trois façons d’espérer, de continuer « à croire » et de repeindre l’avenir. Chacun garde ses « secrets » et ses « voyages cachés » à l’image de Sébastian et de son amour pour Hanna, l’infirmière juive du camp de Gurs qui sera déportée. Autant de façon de rester digne aussi et… d’oublier ses rêves.  Chacun « modèle la réalité ». Le père avec ses mains, les oncles avec les « concepts » et la lutte clandestine, le dessin ou la découverte des haïkus pour les enfants ; Ama, dans le secret de son carnet intime, ouvert en 1936 et qui se refermera en 1949.

Pendant qu’« Aïta tourne et retourne la terre, sème les légumes d’hiver en espérant récolter l’oubli », « (…) déracine d’un coup de pioche les mauvaises herbes et le passé » Ama, elle,  écrit, jusqu’au jour où elle décidera de se libérer de cette « mémoire d’encre ». De vivre, d’accepter l’incertitude et de renoncer à l’attente du « retour ». « Je veux danser, libre, et oublier les mots qui m’enchaînent. » Elle a décidé de rejoindre son époux. Pour continuer à être « ensemble ». « C’est tout ce qui compte ». Pour toujours.

Il s’agissait du deuxième roman de Léonor de Récondo, violoniste virtuose qui a publié en 2010, La Grâce du cyprès blanc (édition Le temps qu'il fait). En 2013, elle publie, chez le même éditeur Pietra viva.

 

Edition Sabine Wespieser, 2012, 170 pages, 17€

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