Youcef M. D.
Je rêve d’une autre vie (moi, le clandestin de l’écriture)
Peu nous chaut de savoir qui se cache derrière les initiales de l’auteur. D’ailleurs, Youcef M. D. lui-même le demande dans l’incipit : “Merci de me juger sur ce que j’écris et non pas sur ce que je suis.” Dont acte, n’en déplaise à une critique par trop complaisante pour ce genre de “document humain” – comme on dit aujourd’hui – à prétention littéraire. Ce texte sent l’artifice à plein nez. Aucun ingrédient d’un exotisme “beurlieusard” n’est oublié : verlan, mots arabes, drogue, tournante, cutting, vols, arnaques, sexualité et violence des Arabes, islamistes dans les cités… Cela n’est ni juste ni faux en soi, mais le procédé – l’amalgame – ne prend pas. Le tout sonne faux, mais tout cela ne serait finalement qu’anecdotique et ne mériterait pas notre attention si le texte ne véhiculait sa dose de misérabilisme et de stéréotypes sur les immigrés, l’intégration en France, les banlieues, l’islam et les Arabes ! Confronté à une (auto ?) dévalorisation sans borne, alliée à une ignorance de l’Histoire et des valeurs portées par la civilisation arabo-musulmane, le doute gagne vite le lecteur sur des propos affligeants et fétides aux relents paternalistes, voire racistes. Pourtant l’auteur se donne du mal pour tirer l’oreille du lecteur distrait qui – sombre idiot ! – ne se rendrait pas compte qu’il tient entre les mains un texte marqué du sceau de l’originalité et à tout le moins de l’authenticité : “Flaubert immense écrivain. Total respect. Et toi Youcef, tu es un voleur de phrases. N’culé ! Pourquoi tu ne volerais pas Flaubert complètement ? Il est mort de toute façon. Non, continue d’écrire comme ta génération. Fais du M. D. Ça va paraître chelou, mais c’est pas grave. C’est juste le fossé qui s’est creusé. Fais pas attention à la querelle des anciens.” “Chelou”, oui, mais sans doute pas par la pseudo-modernité du texte… Ce qu’il convient de repérer comme une marque de juvénilité ou d’authenticité réside peut-être dans ces répétitions et reprises de fins de phrases : “À la Sotomayor, je vole sur la barrière, je. Le tourniquet n’a pas le temps de me voir passer. Pas le temps. En apesanteur je suis, je.” Ou encore : “Le métro m’a déposé à Châtelet. Aux Halles, avec mon cartable, j’avais l’air d’un étudiant. J’avais l’air. J’avais.” Voilà sans doute ce qu’il faut appeler avoir du style, se créer une originalité à bon compte dans l’écriture, une espèce de tic, de gimmick comme disent les musiciens. Autre truc, usé jusqu’à la corde, ce procédé qui consiste à placer le complément avant le sujet et le verbe : “Pas mal elle est. Déjà loin je suis.” Ou bien : “Homme, je suis. Très puissant, je me sens.”
Le texte en est chargé, surchargé. Et que viennent faire ces incises moralisatrices, proprettes et bien pensantes, souvent nunuches, qui tranchent avec le ton faussement agressif – révolté est plus dans l’air du temps – mais franchement grossier du texte ? Petit florilège : “‘Ouais mon frère, on essaie de survivre. Bonne chance brother !’, me dit-il, en faisant le clown avec Kader et Mous – les deux keums ont les yeux céfondés, défoncés (mais on sait bien que derrière le masque de clown, il y a souvent un homme qui pleure ! )” [sic]. Ou : “Enculé que je pense. Nique’mouk, nique ta mère avec ta schnouff ! Exister, c’est poursuivre une lutte désespérée, je pense” [re-sic]. Parlant du cutting : “Faut-il vraiment voir son sang couler pour se sentir en vie ?” Et enfin, acmé de la pensée sociologico-philosophique : “Nous sommes tous le bougnoule de quelqu’un.” Comme finalement ce texte, dans son genre, regorge de ressources, il fait aussi dans la niaiserie : “‘Mais qui êtes-vous donc ?’, s’inquiète-t-elle. Je suis un ange écorché par la vie et ravagé par l’humour.” Il faut oser, non ? Surtout à la première rencontre ! Autre audace : “Quand la vraie meuf croise sa vie, un homme se met à bander autrement. […] Bandage total respect.” Et comme l’auteur – dont on n’a vraiment pas envie de connaître l’identité – n’est pas à une imbécillité près : “Si l’Algérie avait eu de l’humour, elle ne serait pas indépendante.”
L’Arabe, pour des raisons que l’on a du mal à situer sur le plan culturel, social ou… génétique est, cela va de soi, un misogyne de la pire espèce, un “keum au patrimoine culturel néant” dont notre auteur a du mal à comprendre comment il a réussi à s’acoquiner avec une représentante de l’Éducation nationale française : “L’Arabe avec une prof. Putain le tableau.” On se demande sur quelle planète vit Youcef M. D., à moins qu’il ait fait une consommation démesurée des livres de Houellebecq, de Fallaci, écouté par trop la pensée subtile et orientée d’Alain Finkielkraut ou faite sienne la relecture du Coran de Daniel Sibony… Tout cela semble participer d’un dessèchement de la pensée et d’un retour en arrière qui n’augurent rien de bon. Et comme il est de bon ton de décrier l’école et la réussite scolaire, Youcef M. D. y va aussi de son couplet “authentique” : “Ce que nous les jeunes nous savons, c’est qu’à notre époque à nous, nous tournons en rond, alors vous comprenez ? Homère et Balzac, c’est pas vraiment notre blème. On kif pas trop.” Voilà ! Laissons la culture aux autres et confortons les Beurs et autres exclus dans leur ignorance et leur abrutissement. Comme est loin le temps du Gone du Chaâba…
Quant à cette histoire de Youcef le sans-papiers qui, pour les beaux yeux d’une prof de français, se mettrait à raconter sa vie, on n’y croit guère ! Vous en connaissez beaucoup de sans-papiers qui, pour aller visiter la belle famille, s’attifent d’un costume Armani, d’une chemise Hugo Boss et se passent une montre Cartier autour du poignet ? Sans épiloguer sur les erreurs tantôt étranges (l’origine de Gibraltar serait Djebel Thar, “la montagne de Thar”…), anodines (un marabout qui exerce place Clichy… métro Brochant) ou surprenantes (il fait de Montaigne le contemporain de saint Augustin), il en est une qui donne à réfléchir.
Page trente-quatre, le lecteur apprend que la mère de Youcef, pauvre femme battue par son Arabe de mari, est… française ! Ce qui juridiquement ferait de son rejeton non pas un sans papiers, mais bien un Français par filiation en vertu de l’application du droit du sang ! Non, vraiment, tout sonne faux, mais… dangereusement faux !
Au diable Vauvert, 2002, 280 p., 14 €
Commentaires
Cela s'appelle une descente en flammes où je me trompe et cela a le mérite d'être clair et précis. Effectivement, le Diable Vauvert fait parfois un peu trop dans le spectaculaire.
On risque d'y laisser son crédit à force de vouloir faire trop cradingue...